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A la recherche du temps perdu - Marcel Proust
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Auteur Message
Vassia



Inscrit le: 11 Mai 2018
Messages: 446

MessagePosté le: Mer Aoû 12, 2020 1:59 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Mes notes du Tome 5 : La Prisonnière

La Prisonnière (Marcel Proust)

Je l’aimais trop pour ne pas joyeusement sourire de son mauvais goût musical.
Mais, enfin, ce calme que me procurait mon amie était apaisement de la souffrance plutôt que joie.
Maman préférait paraître approuver un choix sur lequel elle avait le sentiment qu’elle ne pourrait pas me faire revenir.
Le snobisme est une maladie grave de l’âme, mais localisée et qui ne la gâte pas tout entière.
[...] chaque classe sociale a sa pathologie [...]
[...], et si je l’avais su alors, c’est peut-être Andrée que j’eusse aimée.
Elle était comme un charbonnier qui voudrait faire croire qu’il n’est pas charbonnier. Il est tout noir.
Tout cela, j’y avais trop longtemps pensé, c’était guéri.
[...] il est facile à une femme adroite d’avoir l’air de ne pas voir, puis cinq minutes après d’aller vers la personne qui a compris et l’a attendue dans une rue de traverse, et, en deux mots, de donner un rendez-vous.
Frémissant tout entier autour de la corde vibrante, j’aurais sacrifié ma terne vie d’autrefois et ma vie à venir, passées à la gomme à effacer de l’habitude, pour cet état si particulier.
[...] en me forçant à vivre absent de moi-même à cause de sa présence continuelle et en me privant, à jamais, des joies de la solitude.
[...], je souffris que mon corps ne pût suivre mon regard qui la rattrapait et, tombant sur elle comme tiré de l’embrasure de ma fenêtre par une arquebuse, arrêter la fuite du visage dans lequel m’attendait l’offre d’un bonheur qu’ainsi cloîtré je ne goûterais jamais !
D’Albertine, en revanche, je n’avais plus rien à apprendre. Chaque jour, elle me semblait moins jolie. Seul le désir qu’elle excitait chez les autres, quand, l’apprenant, je recommençais à souffrir et voulais la leur disputer, la hissait à mes yeux sur un haut pavois. Elle était capable de me causer de la souffrance, nullement de la joie. Par la souffrance seule subsistait mon ennuyeux attachement.
[...] nous brouiller, ce qui nous permettrait de nous réconcilier, de refaire différente et plus souple la chaîne qui nous liait.
[...], engendrait autour du centre que j’étais une zone mobile d’incertitude et de vague.
La jalousie n’est souvent qu’un inquiet besoin de tyrannie appliqué aux choses de l’amour.
Sans doute, à défaut de moi-même, quelque autre serait son époux, [...]
[...], cet air plus qu’indifférent, hostile, méprisant, qui est le signe du désir impuissant chez les natures fières et passionnées.
Mais la robe ne n’empêchait pas de penser à la femme. Par faiblesse d'esprit de femme
[...], et ces simples noms d’Anjou, de Poitou, de Périgord, refaisaient dans sa conversation des paysages.
On oublie, du reste, vite ce qu’on n’a pas pensé avec profondeur, ce qui vous a été dicté par l’imitation, par les passions environnantes. Elles changent et avec elles se modifie notre souvenir.
[...], répondit Bréauté qui, se voyant contredit, commençait à lâcher pied, [...]
Les femmes n’entendent rien à la politique, s’écria le duc en fixant des yeux la duchesse.
Je sentais que cela allait se gâter et je me remis précipitamment à parler robes.
[...] la constance d’une habitude est d’ordinaire en rapport avec son absurdité. Les choses éclatantes, on ne les fait généralement que par à-coups. Mais des vies insensées, où le maniaque se prive lui-même de tous les plaisirs et s’inflige les plus grands maux, ces vies sont ce qui change le moins.
Quand un fonctionnaire s’est vu infliger de tels reproches par son chef, il est invariablement dégommé le lendemain.
[...] il aimait à froisser et se grisait de sa propre colère, [...]
[...] avec cette simplicité qui, dans certaines relations, postule que la suppression de la différence d’âge a tacitement précédé la tendresse.
« Or, ajouta-t-il d’un air de bonté impayable, il faut toujours tâcher de causer le moins de peine qu’on peut. »
[...], il ne l’aimera que dans la mesure où je le souhaiterai.
[...], M. de Charlus gardait un silence qui n’avait que les apparences de la discrétion, mais qui, par un autre côté, était méritoire, car se taire est presque impossible aux gens de sa sorte.
[...] la possession de ce qu’on aime est une joie plus grande encore que l’amour.
Aussitôt je voyais son visage gluant se gâter ; comme un sirop qui tourne, il semblait à jamais brouillé.
Elle évitait de me regarder, mais riait dans le vague avec deux yeux devenus soudain tout ronds.
[...] dans un intérêt naïf et gourmand.
[...] qu’elle attribuait à la méchanceté, ne devinant pas l’amour.
[...] on comprend quel travail de modelage accomplit quotidiennement l’habitude. [...]
Et au moment où mon oreille recueillait ce bruit divin, il me semblait que c’était, condensée en lui, toute la personne, toute la vie de la charmante captive, étendue là sous mes yeux.
[...], ces paupières abaissées mettaient dans son visage cette continuité parfaite que les yeux n’interrompaient pas.
Il y a des êtres dont la face prend une beauté et une majesté inaccoutumées pour peu qu’ils n’aient plus de regard.
Je goûtais son sommeil d’un amour désintéressé, apaisant, [...]
[...] cet amour ne pouvait être durable à moins de rester malheureux, car, par définition, il ne contentait pas le besoin de mystère [...]
[...], la jeune fille en fleurs qui, si, du moins, elle ne me donnait pas de grande joie, en privait les autres.
J’avais l’insouciance de ceux qui croient leur bonheur durable.
[..] sous toute douceur charnelle un peu profonde, il y a la permanence d’un danger.
[...] chaque jour était pour moi un pays différent. Ma paresse elle-même, sous les formes nouvelles qu’elle revêtait, comment l’eussé-je reconnue ?
[...], rares comme les dévotes matinales, [...]
[...], j’avais soin d’y ajouter assez d’incertitude pour amortir la douleur.
[...], l’amour est un mal inguérissable, [...]
Albertine employait toujours le ton dubitatif pour les résolutions irrévocables.
[...] le passé, qui ne se réalise pour nous souvent qu’après l’avenir, [...]
[...] nous nous apercevons que notre amour est fonction de notre tristesse, que notre amour c’est peut-être notre tristesse, et que l’objet n’en est que pour une faible part la jeune fille à la noire chevelure.
À Balbec je n’avais pas été troublé par ce que je n’avais même pas supposé [...]
Et puis elle a eu cette terrible intonation dédaigneuse [...], qui se retrouve dans toutes les classes de la société quand une femme ment.
Ce qui nous attache aux êtres, ce sont ces mille racines, ces fils innombrables que sont les souvenirs de la soirée de la veille, les espérances de la matinée du lendemain ; c’est cette trame continue d’habitudes dont nous ne pouvons pas nous dégager.
[...] nous ne vivons qu’avec ce que nous n’aimons pas, [...]
[...] la maison est empestée depuis que la gentillesse a installé ici la fourberie, [...]
[...] un sourire d’autant plus vrai qu’il sait n’être pas vu.
[...], s’irritait non plus que je parlasse, mais que je ne dise rien.
[...]— Ah ! » fit Andrée d’une voix fort ennuyée et comme effrayée de mon audace, qui ne fit du reste que s’en affermir.
[...] comme maintenant, l’usage du téléphone étant devenu courant, autour de lui s’était développé l’enjolivement de phrases spéciales, comme jadis autour des « thés » [...]
Sa figure prenait la teinte sèche de framboise rose des intendantes dévotes qui font renvoyer un à un tous les domestiques.
[...] en voyant cette petite langue tirée comme pour un appel, [...]
[...] qui n’en mettaient pas moins entre elle et moi la prudence significative de ses paroles ou l’intervalle d’un infranchissable silence.
Il faudrait choisir, ou de cesser de souffrir, ou de cesser d’aimer.
On n’aime que ce qu’on ne possède pas tout entier.
Son visage reflétait une déception, [...]
Habituellement, on déteste ce qui nous est semblable, et nos propres défauts vus du dehors nous exaspèrent.
[...], heureuse comme toute personne qui discute et qui veut avoir pour soi le plus d’arguments possible, [...]
Être dur et fourbe envers ce qu’on aime est si naturel !
Sentant qu’elle était, de toute façon, fâchée, j’en profitai pour lui parler d’Esther Lévy.
Je ne savais plus dire : je suis triste.
Je piétinais sur place dans de douloureuses banalités.
[...], tant qu’un être reste fourvoyé dans notre cœur, [...]
[...], pour connaître ce monde sous-jacent, nous donnerions volontiers la nôtre.
Son sommeil, d’ailleurs, ne la séparait pas de moi et laissait subsister en elle la notion de notre tendresse ; il avait plutôt pour effet d’abolir le reste ; [...]
[...], ses yeux, mes interlocuteurs habituels et à qui je ne pouvais plus m’adresser depuis la retombée des paupières.
[...], la distinction des personnes et leur interaction existant à peine dans cette brune obscurité où la réalité est aussi peu translucide que dans le corps d’un porc-épic [...]
[...] de son beau rire qui m’était si cruel parce qu’il était si voluptueux [...]
[...], mais l’imagination rétablit les proportions, comme pour ces petits arbres japonais nains qu’on sent très bien être tout de même des cèdres, des chênes, des mancenilliers ; [...]
N’ayez crainte, me dit-il. Il ne peut rien lui arriver car, quand mon volant ne la promène pas, mon œil la suit partout.
En tous cas, amour ou amour-propre, Gilberte était presque morte en moi, mais pas entièrement, et cet ennui acheva de m’empêcher de me soucier outre mesure d’Albertine, qui tenait une si étroite partie dans mon cœur.
Cela suffit à faire commencer un amour.
On a dit que la beauté est une promesse de bonheur. Inversement la possibilité du plaisir peut être un commencement de beauté.
Elle était parée pour moi de ce charme de l’inconnu qui ne se serait pas ajouté pour moi à une jolie fille trouvée dans ces maisons où elles vous attendent. Elle n’était ni nue ni déguisée, mais une vraie crémière, une de celles qu’on s’imagine si jolies quand on n’a pas le temps de s’approcher d’elles ; elle était un peu de ce qui fait l’éternel désir, l’éternel regret de la vie, dont le double courant est enfin détourné, amené auprès de nous.
Il y eut d’abord un silence, où le sifflet du marchand de tripes et la corne du tramway firent résonner l’air à des octaves différentes, comme un accordeur de piano aveugle.
[...], incapable de rien ajouter à sa pauvre évidence, [...]
On se rappelle la vérité parce qu’elle a un nom, des racines anciennes ; mais un mensonge improvisé s’oublie vite.
Albertine pouvait me nier ses trahisons particulières ; par des mots qui lui échappaient, plus forts que les déclarations contraires, par ces regards seuls, elle avait fait l’aveu de ce qu’elle eût voulu cacher, [...]
[...] aucun être ne veut livrer son âme.
[...] le goût quasi artistique d’une femme qui sait le charme de ce qu’elle possède et ne va pas le gâter d’un badigeon moderne.
En matière de crime, là où il y a danger pour le coupable, c’est l’intérêt qui dicte les aveux. Pour les fautes sans sanction, c’est l’amour-propre.
Elle était de ces femmes à qui leurs fautes pourraient au besoin tenir lieu de charme, [...]
Ce qui rend douloureuses de telles amours, en effet, c’est qu’il leur préexiste une espèce de péché originel de la femme, un péché qui nous les fait aimer, [...]
Un danger semble très évitable quand il est conjuré. Celui-ci ne l’était pas encore, j’avais peur qu’il ne pût pas l’être, et il me semblait d’autant plus terrible.
[...] comme j’avais attendu cette fin, je me rappelais mal le commencement, [...]
Malheureusement la langue la plus inconnue finit par s’apprendre quand on l’entend toujours parler.
La mère fut désolée que je comprisse le patois, puis contente de me l’entendre parler. À vrai dire, ce contentement, c’était de la moquerie, [...]
Le patois devenant une défense sans valeur, elle se mit à parler avec sa fille un français qui devint bien vite celui des plus basses époques.
[...] parfois l’attention éclaire différemment des choses connues pourtant depuis longtemps et où nous remarquons ce que nous n’avions jamais vu.
M. de Charlus objecta bien que l’algèbre ne pouvait guère servir à un violoniste.
[...], Morel criait à tue-tête, ce qui faisait sortir de lui un accent que je ne lui connaissais pas, [...]
Les paroles rapportées ne sont rien, elles n’expliqueraient pas le battement de cœur avec lequel je remontai.
Je sentais que ma vie n’était plus comme elle aurait pu être, et qu’avoir ainsi une femme [...], vers l’embellissement de qui allaient être de plus en plus détournées les forces et l’activité de mon être, faisait de moi comme une tige accrue, mais alourdie par le fruit opulent en qui passent toutes ses réserves.
Depuis que l’Olympe n’existe plus, ses habitants vivent sur la terre.
Si je deviens jamais intelligente, ce sera grâce à vous.
Comme on fait à la veille d’une mort prématurée, je dressais le compte des plaisirs dont me privait le point final qu’Albertine mettait à ma liberté.
À vrai dire, j’en étais arrivé avec Albertine à ce moment où, si tout continue de même, si les choses se passent normalement, une femme ne sert plus pour nous que de transition avec une autre femme.
La présence d’Albertine me privait d’aller à elles, et peut-être ainsi de cesser de les désirer.
Celui qui veut entretenir en soi le désir de continuer à vivre et la croyance en quelque chose de plus délicieux que les choses habituelles doit se promener, car les rues, les avenues, sont pleines de Déesses.
[...] je n’étais trop tourmenté ni par l’intensité de cette contemplation, ni par sa brièveté que l’intensité compensait ; [...]
[...] pour posséder il faut avoir désiré.
[...] il n’est pas de belle prison [...]
Albertine avait beau commencer à avoir du goût, elle avait encore un certain respect pour le bronze, [...]
[...] le mensonge est si peu exigeant, a besoin de si peu de chose pour se manifester !
[...], une figure de mensonge, [...]
Et même, si cet amour amène des désillusions, du moins agite-t-il, de cette façon-là aussi, la surface de l’âme, qui sans cela risquerait de devenir stagnante.
[...], la vie est un voyage.
Il passa devant plusieurs tableaux et eut l’impression de la sécheresse et de l’inutilité d’un art si factice, [...]
Je ne voudrais pas pour les journaux du soir être le fait divers de cette exposition
« C’est ainsi que j’aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. »
« Je ne voudrais pourtant pas, se disait-il, être pour les journaux du soir le fait divers de cette exposition. »
Mort à jamais ? Qui peut le dire ?
[...] je n’appris que bien plus tard l’art charmant qu’elle avait de mentir avec simplicité.
Le témoignage des sens est lui aussi une opération de l’esprit où la conviction crée l’évidence.
[...] le monde des astres est moins difficile à connaître que les actions réelles des êtres, surtout des êtres que nous aimons, [...]
[...] l’erreur est plus entêtée que la foi et n’examine pas ses croyances.
L’univers est vrai pour nous tous et dissemblable pour chacun.
Mais les « inférieurs » qui nous aiment comme Françoise m’aimait ont du plaisir à nous froisser dans notre amour-propre.
Est-ce que vous tenez à ce que je continue à garder cette coiffure ?
[...] la vieillesse d’une duègne ne rassure pas tant un amant jaloux que la vieillesse du visage de celle qu’il aime.
[...] Albertine aussi ne lui coûte rien, en attendant le jour où, en m’épousant, elle lui rapportera.
[...], comme tous les neurasthéniques, il avait un grand souci de sa santé.
Il ne l’abandonnait pas moins ensuite et éprouvait, au lieu de remords, une sorte de rancune
[...], l’idée que l’Art, auquel je tâcherais de consacrer ma liberté reconquise, n’était pas quelque chose qui valût la peine d’un sacrifice, quelque chose d’en dehors de la vie, ne participant pas à sa vanité et son néant, [...]
[...], comme dans les laboratoires trop richement subventionnés pour les besognes qu’on y fait, on place une insignifiante bestiole agonisante sous les appareils les plus perfectionnés.
[...], phrase qui me parut fort ennuyeuse, car je ne compris pas ce qu’elle voulait dire ; et cependant je n’osai pas le demander à Brichot, par crainte moins encore de son mépris que de ses explications.
[...] cette mort prédite et pourtant imprévue [...]
Elles avaient suffi à faire d’un vivant quelqu’un qui ne peut plus répondre à ce qu’on lui dit, qu’un nom, un nom écrit, passé tout à coup du monde réel dans le royaume du silence.
[...], j’aperçus M. de Charlus naviguant vers nous de tout son corps énorme, traînant sans le vouloir à sa suite un de ces apaches ou mendigots que son passage faisait maintenant infailliblement surgir même des coins en apparence les plus déserts, [...]
[...] le désir de paraître naturel et hardi, le geste instinctif de cacher un rendez-vous secret, un mélange de pudeur et d’ostentation, le besoin de confesser ce qui vous est si agréable et de montrer qu’on est aimé, [...]
[...] torturé par une inquiétude de l’intelligence autant que du cœur, [...]
[...] on n’apprécie jamais personne autant que ceux qui joignent à de grandes vertus celle de les mettre sans compter à la disposition de nos vices.
L’amour de l’homme qu’ils aiment pour une femme est quelque chose d’autre, qui se passe dans une autre espèce animale (le lion laisse les tigres tranquilles), ne les gêne pas et les rassure plutôt.
« Il est extraordinaire, ajoutait-il. Partout les putains les plus en vue n’ont d’yeux que pour lui. [...]
[...] il était arrivé à ce point où l’amour-propre met toute sa persévérance à détruire les buts qu’il a atteints, [...]
[...], avec le rire sarcastique dont il accompagnait une banalité quand il ne pouvait pas trouver une parole originale, [...]
Seulement sa vie était prise et il ne trouvait du temps de libre que quand il avait très envie d’une chose, [...]
[...], comme le désir des plaisirs d’une origine méconnaissable, [...]
[...] la douleur se réveille quand un doute nouveau entre en nous ; [...]
[...] nous savons par nous-même, pour les autres, ce que valent les serments.
[...] nous croirons difficilement aux vices, comme nous ne croirons jamais au génie d’une personne avec qui nous sommes encore allés la veille à l’Opéra.
[...], déclara M. de Charlus avec l’égoïsme autoritaire et incompréhensif de l’amabilité.
[...] il échafaudait volontiers, en matière mondaine, des théories où se retrouvaient la fertilité de son intelligence et la hauteur de son orgueil, avec la frivolité héréditaire de ses préoccupations [...]
[...]son imagination, autant qu’à supposer des torts aux gens pour se brouiller avec eux, était ingénieuse à leur ôter toute importance dès qu’ils n’étaient plus ses amis.
[...] une personne que j’ai retranchée à bon escient de ma familiarité, [...]
La raison disparut, l'habitude persista
La raison qu’elles étaient nationalistes donna au faubourg Saint-Germain l’habitude de recevoir des dames d’une autre société ; la raison disparut avec le nationalisme, l’habitude subsista. Mme Verdurin, à la faveur du dreyfusisme, avait attiré chez elle des écrivains de valeur qui, momentanément, ne lui furent d’aucun usage mondain parce qu’ils étaient dreyfusards. Mais les passions politiques sont comme les autres, elles ne durent pas.
[...] devant qui elle allait dédaigner plus encore que de coutume d’exprimer des impressions en entendant une musique qu’elle connaissait mieux qu’eux.
Vous me direz qu’aujourd’hui je n’ai plus à danser.
Quelles curieuses petites choses à destination mal définie !
En fait de violoniste je vous conseille de vous en tenir au mien.
Ce triage préoccupation de ceux qui donnent des dîners mondains
Avant même d’avoir pensé à ce que Morel jouerait (préoccupation jugée secondaire et avec raison, car si même tout le monde, [...] avait eu la convenance de se taire pendant la musique, personne, en revanche, n’aurait eu l’idée de l’écouter),
[...], comme un médecin qui arrête la consultation quand il juge être resté le temps suffisant, [...]
Intelligente, elle lui faisait partager son goût pour les gens intelligents [...]
Je ne sais pas si vos notions héraldiques vous permettent de mesurer exactement l’importance de la manifestation, le poids que j’ai soulevé, le volume d’air que j’ai déplacé pour vous.
[...] des spasmes d’émotion et d’ironie le parcouraient alternativement.
[...] c’est pour cela, [...], que je me suis opposé à ce que vous invitiez de ces personnes-diviseurs qui, devant les êtres prépondérants que je vous amenais, eussent joué le rôle de virgules dans un chiffre, les autres réduites à n’être que de simples dixièmes.
Faisant la part du feu, comme ces jaloux qui permettent qu’on les trompe, mais sous leur toit et même sous leurs yeux, c’est-à-dire qu’on ne les trompe pas, elle concédait aux hommes d’avoir une maîtresse, un amant, à condition que tout cela n’eût aucune conséquence sociale hors de chez elle,
Et comme elle avait un certain don d’improvisation quand la malveillance l’inspirait, Mme Verdurin ne s’arrêta pas là : [...]
L’homosexualité ne lui déplaisait pas, tant qu’elle ne touchait pas à l’orthodoxie, [...]
Elle n’eût pu être fixée que par l’appel de quelque réalité s’adressant à mon imagination, [...]
[...] en cet albâtre translucide de nos souvenirs, [...]
[...] c’est de l’existence de notre pensée que dépend pour quelque temps encore leur survie, [...]
D’autre part, je ne voulais pas laisser Albertine seule trop longtemps, non qu’elle [...] faire un mauvais usage de mon absence, mais pour qu’elle ne la trouvât pas trop prolongée.
[...], voilà le moment agréable des fêtes, le moment où tous les invités sont partis, [...]
Tout le monde est toujours pressé, et on part au moment où on devrait arriver.
[...], il avait l’air d’être comme ces choses du monde inanimé dont parle Théodore Rousseau, qui font penser mais ne pensent pas.
M. de Charlus obéissait ainsi, peut-être sans le vouloir, à cette consigne universelle qu’on a de ne pas renseigner les jaloux, [...]
[...], feignant de prendre les diatribes du violoniste pour des paradoxes, se mit à rire.
Il préférait à tous, ceux qui admettaient son point de vue sur la vie.
[...] les réputations injustifiées sont les plus établies aux yeux du public.
[...] Brichot, lequel, affreux, se croyait bien et trouvait facilement les autres laids.
« Ah ! mon cher, moi, vous savez je vis dans l’abstrait, tout cela ne m’intéresse qu’à un point de vue transcendantal », répondit-il avec la susceptibilité ombrageuse particulière à ses pareils, et l’affectation de grandiloquence qui caractérisait sa conversation.
[...] pour une mauvaise réputation qui est injustifiée, il y en a des centaines de bonnes qui ne le sont pas moins.
[...], quand du fond du sommeil elle remontait les derniers degrés de l’escalier des songes, [...]
[...] c’est encore dans une bibliothèque qu’on fait le mieux le songe de la vie.
Quand je vous mens, c’est toujours par amitié pour vous.
Ce qui m’avait brusquement rapproché d’elle, bien plus, fondu en elle, ce n’était pas l’attente d’un [...] c’était l’étreinte d’une douleur.
Albertine était plusieurs personnes. La plus mystérieuse, la plus simple, la plus atroce se montra dans la réponse qu’elle me fit d’un air de dégoût, et dont, à dire vrai, je ne distinguai pas bien les mots [...]
On entend rétrospectivement quand on a compris.
[...], ses explications ne satisfaisaient pas ma raison. Je ne cessai pas d’insister.
[...] les séparations les meilleures sont celles qui s’effectuent le plus rapidement, [...]
Nous avons été heureux, nous sentons maintenant que nous serions malheureux.
Mais en amour, la simple sagacité — qui, d’ailleurs, n’est probablement pas la vraie sagesse — nous force assez vite à ce génie de duplicité.
D’ailleurs, dans ces mensonges nous sentons bien qu’il y a de la vérité ; [...]
[...], nous n’avons plus le point d’appui de l’habitude, sur laquelle nous nous reposons, même dans le chagrin.
[...], tout en mentant, je mettais peut-être dans mes paroles plus de vérité que je ne croyais.
[...] il y a des provisoires qui peuvent finir par durer toujours.
[...] ; un mal m’avait guéri de la possibilité des autres.
[...], maintenant c’était celle que j’aimais le mieux, soit que je fusse habitué à sa laideur, soit que j’eusse découvert sa beauté.
[...], venant non d’un souvenir, mais d’une impression [...]
[...] les grands littérateurs n’ont jamais fait qu’une seule œuvre, ou plutôt n’ont jamais que réfracté à travers des milieux divers une même beauté qu’ils apportent au monde
Mais je peux au moins croire que Baudelaire n’est pas sincère. Tandis que Dostoïevski…
[...] j’aie en moi des parties que j’ignore, car on ne se réalise que successivement.
Ce qui m’assomme, c’est la manière solennelle dont on parle et dont on écrit sur Dostoïevski.
Il y a, chez Dostoïevski, cette maussaderie anticipée des primitifs que les disciples éclairciront.
[...] Albertine, devenue d’une élégance qui me la faisait sentir plus à moi, parce que c’était de moi qu’elle lui venait, [...]
[...] on n’aime que ce en quoi on poursuit quelque chose d’inaccessible, on n’aime que ce qu’on ne possède pas, et, bien vite, je me remettais à me rendre compte que je ne possédais pas Albertine.
[...], était-elle, chez lui, autre chose qu’une inconsciente importation dans le domaine de la vie privée, de la tendance profonde de sa race allemande, provocatrice par ruse et, par orgueil, guerrière s’il le faut ?
Pourquoi troubler l’esprit d’une personne qu’il serait si aisé d’éviter ?
je m’abandonnais à cette hypothèse où l’art serait réel, que c’était même plus que la simple joie nerveuse d’un beau temps ou d’une nuit d’opium que la musique peut rendre : une ivresse plus réelle, plus féconde, du moins à ce que je pressentais.
[...] j’entendais, riche et précieuse dans le silence comme un harmonium d’église, la modulation d’un oiseau inconnu qui, sur le mode lydien, chantait déjà matines, et au milieu de mes ténèbres mettait la riche note éclatante du soleil qu’il voyait.
La réalité est le plus habile des ennemis.
[...] nous trouvons de tout dans notre mémoire ; elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met, au hasard, la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux.
[...] l’étonnement ou le désir de paraître étonnée écarquillait ses yeux.
[...], avec l’espèce d’entêtement instinctif et fatidique des animaux qui sentent la mort.
[...] tant qu’elle était là je sentais que je pouvais aviser à l’avenir, [...]
Il semble que les événements soient plus vastes que le moment où ils ont lieu et ne peuvent y tenir tout entiers. Certes, ils débordent sur l’avenir par la mémoire que nous en gardons, mais ils demandent une place aussi au temps qui les précède.
Mon inquiétude elle-même a bien sa cause en quelque chose ; [...]
[...], c’était une convention de notre vie commune, [...]
Je m’endormis, mais, malgré ma certitude qu’elle ne me quitterait pas, d’un sommeil léger, et d’une légèreté relative à elle seulement.
Elle avait cela de charmant qu’elle était toujours prête à tout, peut-être par cette habitude qu’elle avait autrefois de vivre la moitié du temps chez les autres, [...]
[...], on ne peut pas être toujours brouillé avec tout le monde.
[...] avec cette admirable docilité qui me stupéfiait toujours.
[...] cette femme, que je connaissais un petit peu, avait des amants, quoique mariée, mais cachait parfaitement ses intrigues, ce qui m’étonnait énormément à cause de sa prodigieuse stupidité.
Et je sais bien que l’être le plus sot, si son désir ou son intérêt est en jeu, peut, dans ce cas unique, au milieu de la nullité de sa vie stupide, s’adapter immédiatement aux rouages de l’engrenage le plus compliqué ; malgré tout c’eût été une supposition trop subtile pour une femme aussi niaise que la pâtissière. Cette niaiserie prenait même un tour invraisemblable d’impolitesse !
[...] cela aurait l’air d’y donner trop d’importance aux yeux de l’imbécile et menteuse pâtissière.
[...] c’est bien ennuyeux, [...], de faire les choses les plus simples en plusieurs fois.
[...], la vie d’Albertine était recouverte de désirs alternés, fugitifs, souvent contradictoires.
[...], çà et là, au bord du chemin, un pantalon rouge à côté d’un jupon révélaient des couples amoureux.
Le beau temps, cette nuit-là, fit un bond en avant comme un thermomètre monte à la chaleur.
[...], une odeur qui était comme un symbole de bondissement et de puissance [...]
[...], mais cette fois pour aller non plus faire des visites dans des demeures familières, avec une femme que je connaissais trop, mais faire l’amour dans des lieux nouveaux avec une femme inconnue.
[...] ; je voulais me trouver face à face avec mes imaginations vénitiennes ; [...]
Le mystère angoissant d’une haine sans cause connue, et peut-être sans fin, [...]
Maintenant que la vie avec Albertine était redevenue possible, je sentais que je ne pourrais en tirer que des malheurs, puisqu’elle ne m’aimait pas ; mieux valait la quitter sur la douceur de son consentement, que je prolongerais par le souvenir.
Il arriverait, si nous savions mieux analyser nos amours, de voir que souvent les femmes ne nous plaisent qu’à cause du contrepoids d’hommes à qui nous avons à les disputer, bien que nous souffrions jusqu’à mourir d’avoir à les leur disputer ; le contrepoids supprimé, le charme de la femme tombe.

(La Prisonnière Marcel Proust)
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MessagePosté le: Dim Aoû 16, 2020 9:18 pm    Sujet du message: Répondre en citant

voici les notes que je me suis prises du Tome 6 : Albertine disparue *Smile*
(originellement titré La Fugitive)

Albertine disparue (Proust) 1925
Ainsi ce que j’avais cru n’être rien pour moi, c’était tout simplement toute ma vie.
Je m’étais trompé en croyant voir clair dans mon cœur.
[...] je voyais soudain un nouveau visage de l’Habitude.
[...], comme l’avenir est ce qui n’existe que dans notre pensée, il nous semble encore modifiable par l’intervention in extremis de notre volonté.
C’est la vie qui peu à peu, cas par cas, nous permet de remarquer que ce qui est le plus important pour notre cœur, ou pour notre esprit, ne nous est pas appris par le raisonnement mais par des puissances autres. Et alors, c’est l’intelligence elle-même qui, se rendant compte de leur supériorité, abdique par raisonnement devant elles et accepte de devenir leur collaboratrice et leur servante.
[...] dans l’intérêt de la qualité du souvenir qu’elle laissera, [...]
Toute femme sent que, si son pouvoir sur un homme est grand, le seul moyen de s’en aller, c’est de fuir. Fugitive parce que reine, c’est ainsi.
[...] les hommes qui ont été quittés par plusieurs femmes l’ont été presque toujours de la même manière à cause de leur caractère et de réactions toujours identiques [...]
[...] ; chacun a sa manière propre d’être trahi,[...]
Ce malheur était le plus grand de toute ma vie.
[...] les sources des grands événements sont comme celles des fleuves, nous avons beau parcourir la surface de la terre, nous ne les retrouvons pas.
Puis à force de m’habituer à ne pas vouloir, qu’il s’agît de travail ou d’autre chose, j’étais devenu plus lâche.
[...] il est vraiment rare qu’on se quitte bien, car, si on était bien, on ne se quitterait pas !
[...] ; ce lit paraît si étroit, si dur, si froid où l’on se couche avec sa douleur.
[...], dans le langage particulier que leur avaient enseigné mes souvenirs, [...]
[...] il y avait quelqu’un des innombrables et humbles « moi » qui nous composent qui était ignorant encore du départ d’Albertine et à qui il fallait le notifier ; [...]
[...], j’avais tout de suite été sûr qu’il s’agissait de la chose qui ne pouvait pas être, [...]
[...], torturé par la certitude du présent et l’incertitude de l’avenir, [...]
C’était cet inconnu qui faisait le fond de mon amour.
Cette phrase qui l’eût calmée, ma souffrance l’ignorait.
[...] une sympathie, une pitié particulière pour ce genre de souffrances, comme on se sent plus voisin de quelqu’un qui a la même maladie que vous.
Sa figure exprimait une stupéfaction qui allait jusqu’à la stupidité. « C’est ça la jeune fille que tu aimes ? », finit-il par me dire d’un ton où l’étonnement était maté par la crainte de me fâcher.
Il ne fit aucune observation, il avait pris l’air raisonnable, prudent, forcément un peu dédaigneux qu’on a devant un malade [...]
Laissons les jolies femmes aux hommes sans imagination.
[...] ; maigre, enlaidie par un vilain chapeau [...]
C’était possible, mais ce n’était pas vrai et cette part de vérité était justement un mensonge.
Mais Françoise me regarda avec un air sinon d’incrédulité, du moins de doute.
Il y a des moments de la vie où une sorte de beauté naît de la multiplicité des ennuis qui nous assaillent, entrecroisés comme des leitmotiv wagnériens, [...]
Déjà, laissé à lui-même, un événement se modifie, soit que l’échec nous l’amplifie ou que la satisfaction le réduise. Mais il est rarement seul.
[...] le chef de la Sûreté, qui aimait les petites filles, changea de ton et me réprimanda comme un compère : « Une autre fois, il faut être plus adroit. Dame, on ne fait pas des levages aussi brusquement que ça, ou ça rate. D’ailleurs vous trouverez partout des petites filles mieux que celle-là et pour bien moins cher.
[...], je le croyais de bonne foi, car on ne sait jamais ce qui se cache dans notre âme.
[...] ; le spécifique pour guérir un événement malheureux [...] c’est une décision ; car elle a pour effet, par un brusque renversement de nos pensées, d’interrompre le flux de celles qui viennent de l’événement passé et en prolongent la vibration, [...]
[...], le retour d’Albertine me paraissait une chose si certaine que je me demandais si j’avais eu raison de le souhaiter.
Et mon amour qui venait de reconnaître le seul ennemi par lequel il pût être vaincu, l’Oubli, se mit à frémir, [...]
[...] de temps en temps je parvenais, en faisant passer tel ou tel courant d’idées au travers de mon chagrin, à renouveler, à aérer un peu l’atmosphère viciée de mon cœur ; [...]
Les liens entre un être et nous n’existent que dans notre pensée.
[...], nous existons seuls.
[...] certaines choses qui ne pouvaient émouvoir que moi [...]
[...] ces mots [...] portaient en eux leur tristesse, [...]
Il y a dans notre âme des choses auxquelles nous ne savons pas combien nous tenons.
[...] la jalousie, qui en amour équivaut à la perte de tout bonheur, est plus sensible que la perte de la réputation.
[...] la consécration de l’habitude.
Puis on cherche à diminuer les proportions de sa douleur en la faisant entrer dans le langage parlé [...]
Je ne sais pas si Françoise sentait le mal qu’elle me faisait, mais elle commença à ébaucher un sourire qui ne quitta plus ses lèvres.
[...], sa coquetterie de femme qui a été jolie, [...]
À l’horreur de son mensonge, à la jalousie pour l’inconnu, [...]
[...] nous avons le don d’inventer des contes pour bercer notre douleur, [...]
J’avais moins besoin de sa fidélité que de son retour.
Pour que la mort d’Albertine eût pu supprimer mes souffrances, il eût fallu que le choc l’eût tuée non seulement en Touraine, mais en moi.
Et puis cet émiettement ne fait pas seulement vivre la morte, il la multiplie.
[...], j’étouffais un cri à la déchirure que venait de faire en moi ce rayon de soleil ancien [...]
Mais cette explication était encore fragile, elle n’avait pas encore eu le temps d’enfoncer dans mon esprit ses racines bienfaisantes, et ma douleur ne pouvait être si vite apaisée.
On ne peut être fidèle qu’à ce dont on se souvient, on ne se souvient que de ce qu’on a connu.
[...] les langues se délient étrangement et racontent facilement une faute quand on n’a plus à craindre la rancune de la coupable.
[...] en même temps que j’imaginais notre conversation j’en sentais l’impossibilité ; [...]
L’art n’est pas seul à mettre du charme et du mystère dans les choses les plus insignifiantes ; ce même pouvoir de les mettre en rapport intime avec nous est dévolu aussi à la douleur.
[...] une femme est d’une plus grande utilité pour notre vie si elle y est, au lieu d’un élément de bonheur, un instrument de chagrin, [...]
On désire être compris parce qu’on désire être aimé, et on désire être aimé parce qu’on aime.
En perdant la vie je n’aurais pas perdu grand’chose ; je n’aurais plus perdu qu’une forme vide, le cadre vide d’un chef-d’œuvre.
On désire plus la personne qui va se donner ; l’espérance anticipe la possession ; mais le regret aussi est un amplificateur du désir.
« Hélas, si vous étiez venue plus tôt, maintenant j’en aime une autre. »
Car bien souvent pour que nous découvrions que nous sommes amoureux, peut-être même pour que nous le devenions, il faut qu’arrive le jour de la séparation.
[...] par instants l’intelligence, qui n’a pu rattraper le cœur, s’étonne, s’écrie : « Mais tu es fou, dans quelles pensées nouvelles vis-tu si douloureusement ? Tout cela n’est pas la vie réelle. »
[...], en vérité, on n’a pas de prises sur la vie d’un autre être.
[...] des paroles, crues sans doute mensongères par nous mais auxquelles l’événement avait donné après coup leur valeur prophétique.
Tant que les choses sont possibles on les diffère, [...]
Je ne sais si elle avait rougi, mais elle n’avait pas pu ne pas entendre, [...]
La réalité, qui s’était refermée sur elle, était redevenue unie, avait effacé jusqu’à la trace de l’être qui avait coulé à fond. Elle n’était plus qu’un nom, [...]
Mes curiosités jalouses de ce qu’avait pu faire Albertine étaient infinies. J’achetai combien de femmes qui ne m’apprirent rien
Le désir est bien fort, il engendre la croyance, [...]
[...] ce qu’il voulait c’était un miracle qui satisfît aux limites naturelles et arbitraires de la mémoire, qui ne peut sortir du passé.
Muni de cette croyance préservatrice, je pouvais sans danger laisser mon esprit jouer tristement avec des suppositions auxquelles il donnait une forme mais n’ajoutait pas foi.
[...] vous pensez bien que si elles n’avaient fait qu’enfiler des perles, elles ne m’auraient pas donné dix francs de pourboire.
Et la douleur est un aussi puissant modificateur de la réalité qu’est l’ivresse.
[...], comme celui qui dans une étude frémissante cherche la bouche d’une Léda qu’on voit dans toute la palpitation spécifique du plaisir féminin, [...]
[...] nous ne connaissons vraiment que ce qui est nouveau, ce qui introduit brusquement dans notre sensibilité un changement de ton qui nous frappe, ce à quoi l’habitude n’a pas encore substitué ses pâles fac-similés.
Mais Andrée n’était pour moi qu’un prête-nom, qu’un chemin de raccord, qu’une prise de courant qui me reliait indirectement à Albertine.
Sans doute en moi, comme j’étais un homme, un de ces êtres amphibies qui sont simultanément plongés dans le passé et dans la réalité actuelle, il existait toujours une contradiction entre le souvenir vivant d’Albertine et la connaissance que j’avais de sa mort.
[...] un intervalle de soleil, laissant voir au loin un univers souriant et bleu où Albertine n’était plus qu’un souvenir indifférent et plein de charme.
Si encore ce retrait en moi des différents souvenirs d’Albertine s’était au moins fait, non pas par échelons, mais simultanément, également, de front, sur toute la ligne de ma mémoire, les souvenirs de ses trahisons s’éloignant en même temps que ceux de sa douceur, l’oubli m’eût apporté de l’apaisement. Il n’en était pas ainsi.
On ne guérit d’une souffrance qu’à condition de l’éprouver pleinement.
[...] le regret d’une femme n’est qu’un amour reviviscent et reste soumis aux mêmes lois que lui, [...]
[...], au cours de ces périodes passagères de folie que sont nos rêves [...]
[...], avec l’interférence requise de souffrances et de plaisirs alternés [...]
[...] cela continuait après sa mort, la mémoire suffisant à entretenir la vie réelle, qui est mentale.
[...] la lecture des journaux m’en était odieuse, et de plus elle n’était pas inoffensive.
Soulevant un coin du voile lourd de l’habitude (l’habitude abêtissante qui pendant tout le cours de notre vie nous cache à peu près tout l’univers, [...]
[...] chaque jour ancien est resté déposé en nous comme, dans une bibliothèque immense [...]
Notre « moi » est fait de la superposition de nos états successifs. Mais cette superposition n’est pas immuable comme la stratification d’une montagne. Perpétuellement des soulèvements font affleurer à la surface des couches anciennes.
Dans la souffrance physique au moins nous n’avons pas à choisir nous-même notre douleur. La maladie la détermine et nous l’impose.
Certes nous ignorons la sensibilité particulière de chaque être, mais d’habitude nous ne savons même pas que nous l’ignorons, car cette sensibilité des autres nous est indifférente.
Pour la première fois elle me semblait belle, [...]
[...], il me semblait, [...], voir devant moi le désir incarné d’Albertine qu’Andrée était pour moi, [...]
Andrée regrettait Albertine, mais je sentis tout de suite qu’elle ne lui manquait pas.
Maintenant un tel interrogatoire, même s’il devait être sans résultat, serait au moins sans danger.
[...], tant qu’Andrée fut là je ne rentrai pas en moi-même pour y examiner la douleur qu’elle m’apportait, et que je sentais bien causer déjà à mes serviteurs physiques, les nerfs, le cœur, de grands troubles dont par bonne éducation je feignais de ne pas m’apercevoir, [...]
À l’univers vague et inexistant [...]
[...] l’espace que j’avais pu concéder encore à l’innocence d’Albertine se rétrécissait de plus en plus, [...]
[...] ce qui reste d’enjouement, de naturel et d’assurance aux personnes qui veulent faire semblant de ne pas craindre qu’on les hypnotise en les fixant, [...]
[...] j’ai toujours mieux aimé éviter avec elle les brouilles violentes qui n’amènent que des raccommodements. [...]
[...] de ces substituts de plaisirs se remplaçant l’un l’autre en dégradations successives, qui nous permettent de nous passer de celui que nous ne pouvons plus atteindre, [...]
[...] celles qui avaient pour moi le prestige de lui ressembler ou d’être de celles qui lui eussent plu.
Ce que j’aurais voulu, c’est que la nouvelle venue vînt habiter chez moi et me donnât le soir avant de me quitter un baiser familial de sœur.
Leur amour ne vaudrait pas le sien, pensais-je, [...]
[...] j’éprouvais d’abord que le souvenir n’est pas inventif, qu’il est impuissant à désirer rien d’autre, même rien de mieux que ce que nous avons possédé ; ensuite qu’il est spirituel, de sorte que la réalité ne peut lui fournir l’état qu’il cherche [...]
[...], ces femmes éveillaient en moi un sentiment cruel de jalousie ou de regret, qui plus tard, quand mon chagrin s’apaisa, se mua en une curiosité non exempte de charme.
Sans doute, c’est seulement par la pensée qu’on possède des choses, et on ne possède pas un tableau parce qu’on l’a dans sa salle à manger si on ne sait pas le comprendre, ni un pays parce qu’on y réside sans même le regarder.
[...],elles n’avaient pas mis un parfum trop fort pour venir me voir, elles n’avaient pas joué à mêler leurs cils aux miens, toutes choses importantes parce qu’elles permettent, semble-t-il, de rêver autour de l’acte sexuel lui-même et de se donner l’illusion de l’amour, [...]
[...] ; l’oubli dont je commençais à sentir la force et qui est un si puissant instrument d’adaptation à la réalité parce qu’il détruit peu à peu en nous le passé survivant qui est en constante contradiction avec elle.
Parfois la lecture d’un roman un peu triste me ramenait brusquement en arrière, car certains romans sont comme de grands deuils momentanés, abolissent l’habitude, nous remettent en contact avec la réalité de la vie, [...]
Avec tristesse et pourtant non sans plaisir tout de même, [...]
[...], en faisait quelque chose de plus beau qu’une journée unie et simple parce que ce qui n’y était plus, ce qui en avait été arraché, y restait imprimé comme en creux.
[...] cette nature prenait ainsi le seul charme de mélancolie qui pouvait aller jusqu’à mon cœur.
Dans l’esprit de celle-ci, entre elle et moi il y avait d’avance de commun les heures que nous aurions pu passer ensemble si elle avait la liberté de me donner un rendez-vous. N’était-ce pas ce que son regard avait voulu m’exprimer avec une éloquence qui ne fut claire que pour moi ?
[...] une sorte d’intuition et aussi de ce souffle de chance qui parfois nous favorise.
[...] avec l’animation de l’homme qu’échauffe l’espérance, [...]
À partir de ce moment mon temps se passa dans la fièvre ; [...]
[...] on pouvait toujours lire dans son visage sans crainte de se tromper, si l’on prenait comme clef le désir de faire plaisir aux autres, [...]
[...] maman a affecté cet air indifférent et distrait pour que ma surprise soit complète et pour ne pas faire comme les gens qui vous ôtent la moitié de votre plaisir en vous l’annonçant. Et elle n’est pas restée là parce qu’elle a craint que par amour-propre je dissimule le plaisir que j’aurais et ainsi le ressente moins vivement.
Pour ne pas se sentir méprisée, elle nous méprisait.
Aussi bien pensait-elle que nous étions des maîtres, c’est-à-dire des êtres capricieux, qui ne brillent pas par l’intelligence et qui trouvent leur plaisir à imposer par la peur à des personnes spirituelles, à des domestiques, pour bien montrer qu’ils sont les maîtres, des devoirs absurdes [...]
[...], comme ces vieillards qui sont obligés de terminer jusqu’au bout un mouvement commencé, même s’il est devenu inutile, même si un obstacle imprévu devant lequel il faudrait se retirer immédiatement, le rend dangereux.
Puis je considérai le pain spirituel qu’est un journal encore chaud et humide de la presse récente dans le brouillard du matin où on le distribue, [...]
[...] comme un amant jaloux qui ne trompe pas sa maîtresse pour croire à sa fidélité, je songe tristement que mon attention future ne forcera pas en retour celle des autres.
[...], Odette, qui étonna tout le monde par une douleur profonde, prolongée et sincère, [...]
[...], l’importance d’un mariage aristocratique ayant fait reculer à la fin du journal les batailles sur terre et sur mer.
Cela donnait parfois, [...], quelque chose d’assez noble — mêlé à beaucoup de bassesse — à sa conduite.
Malheureusement, les réflexes moraux ne sont pas toujours identiques à ce que le bon sens imagine.
[...], Mme de Guermantes arrangeait son chapeau dans la glace, ses yeux bleus se regardaient eux-mêmes et regardaient ses cheveux encore blonds, [...]
Quant à Gilberte, elle fut d’autant plus heureuse de voir tomber la conversation qu’elle ne cherchait précisément qu’à en changer, [...]
[...], avec la minutie des gens dont la vie est sans but, tour à tour ils s’apercevaient, chez les gens avec qui ils se liaient, des qualités les plus simples, s’exclamant devant elles avec l’émerveillement naïf d’un citadin qui fait à la campagne la découverte d’un brin d’herbe, [...]
Mais je ne dis pas qu’il n’était pas spirituel. Je dis qu’il n’avait pas de brio », dit M. de Guermantes d’un ton gémissant, [...]
[...] me dit la duchesse, faisant effort pour parler d’une chose qui ne l’intéressait pas.
[...], s’avilissant pour se rehausser [...]
Mais elle ne le savait que de cette même science qui nous parle de gens se tuant par misère pendant que nous allons au bal, c’est-à-dire une science lointaine et vague, à laquelle nous ne tenons pas à substituer une connaissance plus précise, due à une impression directe.
[...] le conventionnalisme bourgeois enserre l’intérieur même des lettres [...]
La disparition de ma souffrance, et de tout ce qu’elle emmenait avec elle, me laissait diminué comme souvent la guérison d’une maladie qui tenait dans notre vie une grande place.
Et puisqu’il en est du chagrin comme du désir des femmes, qu’on grandit en y pensant, avoir beaucoup à faire rendrait plus facile, aussi bien que la chasteté, l’oubli.
[...] qui m’eût rendu tout d’un coup l’oubli apparent et sensible [...]
[...], l’oubli n’est pas sans altérer profondément la notion du temps. Il y a des erreurs optiques dans le temps comme il y en a dans l’espace.
[...] comme quelque chose de si dépourvu du support d’un moi individuel identique et permanent, quelque chose de si inutile dans l’avenir et de si long dans le passé, que la mort pourrait aussi bien terminer le cours ici ou là sans nullement le conclure, [...]
Ces nouveaux « moi » qui devraient porter un autre nom que le précédent, leur venue possible, à cause de leur indifférence à ce que j’aimais, m’avait toujours épouvanté, [...]
[...] nous nous étonnons de ne plus retrouver, dans notre émerveillement d’être devenu un autre pour qui la souffrance de son prédécesseur n’est plus que la souffrance d’autrui, celle dont on peut parler avec apitoiement parce qu’on ne la ressent pas.
On ne peut être fidèle qu’à ce dont on se souvient, on ne se souvient que de ce qu’on a connu.
Comme certains bonheurs, il y a certains malheurs qui viennent trop tard, ils ne prennent pas en nous toute la grandeur qu’ils auraient eue quelque temps plus tôt.
[...] la réalité des êtres ne survit pour nous que peu de temps après leur mort, et au bout de quelques années ils sont comme ces dieux des religions abolies qu’on offense sans crainte parce qu’on a cessé de croire à leur existence.
Andrée était prête à aimer toutes les créatures, mais à condition d’avoir réussi d’abord à ne pas se les représenter comme triomphantes, et pour cela de les avoir humiliées préalablement.
Elle ne comprenait pas qu’il fallait aimer même les orgueilleux et vaincre leur orgueil par l’amour et non par un plus puissant orgueil.
Comme ces malaises dont le médecin écoute son malade lui raconter l’histoire et à l’aide desquels il remonte à une cause plus profonde, ignorée du patient, de même nos impressions, nos idées, n’ont qu’une valeur de symptômes.
[...] elle était comme les malades qui veulent la guérison par les moyens mêmes qui entretiennent la maladie, qu’ils aiment et qu’ils cesseraient aussitôt d’aimer s’ils les renonçaient.
[...],ce qui prouverait chez lui non de la bêtise mais de la vanité, et même un certain sens pratique, une certaine clairvoyance à adapter sa vanité à la mentalité des imbéciles, [...]
[...] auraient pu seulement mettre en lumière l’éternel malentendu d’un « intellectuel » [...]
C’est le désir qui engendre la croyance, [...]
On ment pour protéger son plaisir ou son honneur si la divulgation du plaisir est contraire à l’honneur. On ment toute sa vie, même surtout, peut-être seulement, à ceux qui nous aiment. Ceux-là seuls, en effet, nous font craindre pour notre plaisir et désirer leur estime.
[...] le désir, allant toujours vers ce qui nous est le plus opposé, nous force d’aimer ce qui nous fera souffrir [...]
[...] on a tort de parler en amour de mauvais choix puisque, dès qu’il y a choix, il ne peut être que mauvais.
[...] il y a l’un devant l’autre deux mondes, l’un constitué par les choses que les êtres les meilleurs, les plus sincères, disent, et derrière lui le monde composé par la succession de ce que ces mêmes êtres font ; [...]
Et c’était tout à fait dans le genre des grandes dames allemandes, qu’avaient, du reste, beaucoup adopté les Guermantes, cette morgue qu’on croyait réparer par une scrupuleuse amabilité.
[...] l’homme est cet être sans âge fixe, cet être qui a la faculté de redevenir en quelques secondes de beaucoup d’années plus jeune, et qui, entouré des parois du temps où il a vécu, [...]
[... ] n’était qu’une sorte de symbole artificiel, voulu, des différents aspects que prend une action selon le point de vue où on se place.
Et si les actes restent ainsi incertains, comment les personnes elles-mêmes ne le seraient-elles pas ?
[...], le mensonge est souvent un trait de caractère ; d’autre part, chez des femmes qui ne seraient pas sans cela menteuses, il est une défense naturelle, improvisée, puis de mieux en mieux organisée, contre ce danger subit et qui serait capable de détruire toute vie : l’amour.
Si je dis que de tels hommes ont besoin de souffrir, je dis une chose exacte, [...]
[...], les natures complètes étant rares, un être très sensible et très intellectuel aura généralement peu de volonté, sera le jouet de l’habitude et de cette peur de souffrir dans la minute qui vient, qui voue aux souffrances perpétuelles — et que dans ces conditions il ne voudra jamais répudier la femme qui ne l’aime pas.
Ces êtres intellectuels et sensibles sont généralement peu enclins au mensonge. Celui-ci les prend d’autant plus au dépourvu que, même très intelligents, ils vivent dans le monde des possibles,
[...] ces êtres se sentent trompés sans trop savoir comment. Par là la femme médiocre, qu’on s’étonnait de les voir aimer, leur enrichit bien plus l’univers que n’eût fait une femme intelligente.
Sans être précisément de ceux-là j’allais peut-être, maintenant qu’Albertine était morte, savoir le secret de sa vie.
[...] il y avait dans ma tendresse peut-être un peu de duplicité, mais nulle trahison.
Pour la première fois les valeurs autres que sportives ou noceuses existaient pour lui.
[...] il me restait d’elles, sans qu’en somme je les connusse, une impression où la tristesse était peut-être encore dominée par la fatigue.
[...] la tendresse qu’elle me prodiguait était comme ces aliments défendus qu’on ne refuse plus aux malades quand il est assuré qu’ils ne peuvent guérir.
[...] j’avais, l’espace d’un éclair, envié le temps déjà lointain où je souffrais nuit et jour du compagnonnage de son souvenir.
Albertine n’avait été pour moi qu’un faisceau de pensées, elle avait survécu à sa mort matérielle tant que ces pensées vivaient en moi ; en revanche, maintenant que ces pensées étaient mortes, Albertine ne ressuscitait nullement pour moi avec son corps.
[...] ; le mufle sourit de sa muflerie car il est le mufle, et l’oublieux ne s’attriste pas de son manque de mémoire, précisément parce qu’il a oublié.
[...] les efforts des tiers, et même du destin, nous séparant d’une femme, ne font que nous attacher à elle.
Notre amour de la vie n’est qu’une vieille liaison dont nous ne savons pas nous débarrasser.
Ma solitude irrévocable était si prochaine qu’elle me semblait déjà commencée et totale. Car je me sentais seul. Les choses m’étaient devenues étrangères.
[...] mon action surgit enfin [...]
Puis le train partit et nous vîmes Padoue et Vérone venir au-devant de nous, nous dire adieu presque jusqu’à la gare et, quand nous nous fûmes éloignés, regagner — elles qui ne partaient pas et allaient reprendre leur vie — l’une sa plaine, l’autre sa colline.
[...], méchante de nature, elle faisait passer le plaisir d’humilier les siens avant celui de se glorifier elle-même.
[...] Oh ! Madame, je vous expliquerais bien si nous nous voyions plus souvent. Avec vous on peut causer. Votre Altesse est si intelligente », dit Charlus pris d’un besoin de confidence qui pourtant n’alla pas plus loin.
Au fur et à mesure que M. de Charlus s’était alourdi et abruti, Legrandin était devenu plus élancé et rapide, effet contraire d’une même cause.
[...] un gros Monsieur qui venait chez elle, sans arrêter, boire du Champagne avec des jeunes gens, parce que, déjà très gros, il voulait devenir assez obèse pour être certain de ne pas être « pris » si jamais il y avait une guerre, [...]
[...], disait-il maladroitement à force d’habileté.
[...] nos habitudes nous suivent même là où elles ne nous servent plus à rien [...]
[...] M. de Charlus lui adressa un sourire difficile à percevoir, plus encore à interpréter ; [...]
Or dès qu’il eut cette situation mondaine il cessa d’en profiter.
[...] la valeur d’un titre de noblesse, aussi bien que de bourse, monte quand on le demande et baisse quand on l’offre.
La création du monde n’a pas eu lieu au début, elle a lieu tous les jours.
On dédaigne volontiers un but qu’on n’a pas réussi à atteindre, ou qu’on a atteint définitivement.
[...] tout ce que Gilberte m’eût refusé autrefois, ce qui lui avait semblé intolérable, impossible, elle me l’accordait aisément — sans doute parce que je ne le désirais plus.
[...] un amour a beau s’oublier, il peut déterminer la forme de l’amour qui le suivra.
[...] ; chez les personnes dites immorales, les indignations morales sont tout aussi fortes que chez les autres et changent seulement un peu d’objet.
[...], les gens dont le cœur n’est pas directement en cause, jugeant toujours les liaisons à éviter, les mauvais mariages, comme si on était libre de choisir ce qu’on aime, ne tiennent pas compte du mirage délicieux que l’amour projette et qui enveloppe si entièrement et si uniquement la personne dont on est amoureux que la « sottise » que fait un homme en épousant une cuisinière ou la maîtresse de son meilleur ami est, en général, le seul acte poétique qu’il accomplisse au cours de son existence.
Et, en somme, c’était le même fait qui nous avait donné à Robert et à moi le désir d’épouser Albertine (à savoir qu’elle aimait les femmes). Mais les causes de notre désir, comme ses buts aussi, étaient opposés.
Elle avait seulement soin de faire de temps en temps l’éloge des gens discrets qu’on ne voit jamais que quand on leur fait signe, [...]
[...] ; une certitude, je ne pouvais l’avoir, car on ne voit jamais qu’un côté des choses.
Les choses, en effet, sont pour le moins doubles. Sur l’acte le plus insignifiant que nous accomplissons un autre homme embranche une série d’actes entièrement différents ; [...]
[...] un de ces lointains voyages qu’on ne fera jamais mais dont on éprouve un instant la nostalgie.
[...], le souvenir de Rachel ne jouait plus à cet égard qu’un rôle esthétique.
Qu’elle ne fût plus de la première jeunesse était de peu d’importance aux yeux d’un gendre qui n’aimait pas les femmes.
Ce n’est que tant qu’il aima les femmes qu’il fut vraiment capable d’amitié.
[...] ce dont nous n’avons pas eu l’intuition directe, ce que nous avons appris seulement par d’autres, nous n’avons plus aucun moyen, l’heure est passée de le faire savoir à notre âme ; ses communications avec le réel sont fermées ; aussi ne pouvons-nous jouir de la découverte, il est trop tard.
[...], il n’y avait pas entre eux et moi cette contiguïté d’où naît, avant même qu’on s’en soit aperçu, l’immédiate, délicieuse et totale déflagration du souvenir.
Gilberte elle-même, qui me comprenait encore moins bien que je ne faisais moi-même, augmentait ma tristesse en partageant mon étonnement.
[...] ces paroles où son habileté de femme du monde sachant tirer parti du silence, de la simplicité, de la sobriété dans l’expression des sentiments, vous fait croire que vous tenez dans sa vie une place que personne ne pourrait occuper.
[...], ajouta-t-elle d’un air vague et pudique, [...]
Vous m’aimiez trop je sentais une inquisition sur tout ce que je faisais
[...] il y a dans ce monde où tout s’use, où tout périt, une chose qui tombe en ruines, qui se détruit encore plus complètement, en laissant encore moins de vestiges que la Beauté : c’est le Chagrin.
[...] j’ai déjà vu trop d’exemples de cette incuriosité amenée par le temps, [...]
Ainsi certaines personnes se retrouvent toujours dans notre vie pour préparer nos plaisirs ou nos douleurs.

Albertine disparue (Proust)
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Vassia



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MessagePosté le: Sam Aoû 22, 2020 2:55 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Et pour finir, celles du dernier tome, Le Temps retrouvé *Smile*


Le Temps retrouvé (Marcel Proust) 1927
[...], dans cette demeure de Tansonville un peu trop campagne, qui n’avait l’air que d’un lieu de sieste entre deux promenades [...]
[...] pour aller auprès d’autres femmes. Et il est vrai que beaucoup encombraient sa vie, [...]
Sa vie ne l’avait pas épaissi, comme M. de Charlus, tout au contraire, mais, opérant en lui un changement inverse, lui avait donné l’aspect désinvolte d’un officier de cavalerie [...]
Sans doute l’oisiveté même de ceux-là peut se traduire par de la nonchalance.
[...] il lui mentait tout le temps, et son esprit de duplicité, sinon le fond même de ses mensonges, était perpétuellement découvert. Et alors il ne croyait pouvoir s’en tirer qu’en exagérant dans des proportions ridicules la tristesse réelle qu’il avait de peiner Gilberte.
Une femme qu’on aime suffit rarement à tous nos besoins et on la trompe avec une femme qu’on n’aime pas.
[...] me mettait-elle sur les yeux, par bonté, ce bandeau qu’on a toujours tout prêt pour les jaloux [...]
[...] pour m’éblouir, à Paris, du prestige de sa perversité comme la première fois, à Balbec, par celui de sa vertu.
C’était, en effet, sous cette forme trop simple que je jugeais mon aventure avec Albertine, maintenant que je ne voyais plus cette aventure que du dehors.
[...] aimer est un mauvais sort comme ceux qu’il y a dans les contes contre quoi on ne peut rien jusqu’à ce que l’enchantement ait cessé.
[...] l’église de Combray qui semblait m’attendre au milieu des verdures dans une fenêtre toute violacée.
[...] ce soir des veilles de départ où, l’engourdissement des habitudes qui vont finir cessant, on essaie de se juger [...]
[...], mon absence de disposition pour les lettres [...] me parut quelque chose de moins regrettable, comme si la littérature ne révélait pas de vérité profonde, et en même temps il me semblait triste que la littérature ne fût pas ce que j’avais cru.
[...], avec son en-tête représentant une mer toute vagueuse, chargée de vaisseaux, [...]
« Vous ne pouvez pas comprendre cela, vous autres Occidentaux [...] cette pénétration par un écrivain de l’intimité de la femme. »
Et la charmante femme à la parole vraiment amoureuse des colorations d’une contrée nous parle avec un enthousiasme débordant de cette Normandie qu’ils ont habitée, une Normandie qui serait un immense parc anglais, [...]
[...], ce qui peut avoir une importance documentaire et même historique, mais n’est pas nécessairement une vérité d’art.
[...] ma frivolité, dès que je n’étais pas seul, me faisait désirer de plaire, plus désireux d’amuser en bavardant que de m’instruire en écoutant, [...]
[...] la lecture [...] nous apprend à relever la valeur de la vie, valeur que nous n’avons pas su apprécier et dont nous nous rendons compte seulement par le livre combien elle était grande.
[...] même les maris qui doivent divorcer quelques mois après vous font un grand éloge de leur femme.
[...] ce n’est pas le plus spirituel, le plus instruit, le mieux relationné des hommes, mais celui qui sait devenir miroir et peut refléter ainsi sa vie, fût-elle médiocre, qui devient un [...], on peut souvent à plus forte raison en dire autant des modèles de l’artiste. Dans l’éveil de l’amour de la beauté, chez l’artiste, qui peut tout peindre, de l’élégance où il pourra trouver de si beaux motifs, le modèle lui sera fourni par des gens un peu plus riches que lui, chez qui il trouvera ce qu’il n’a pas d’habitude dans son atelier d’homme de génie méconnu
[...] qu’elles ne dussent leur prestige qu’à une magie illusoire de la littérature, [...]
[...] elle était, avec Mme Bontemps, une des reines de ce Paris de la guerre qui faisait penser au Directoire.
[...], dans l’invincible certitude du triomphe définitif, [...]
[...], « tout en observant le tact et la correction qu’il est inutile de rappeler à des Françaises ».
[...] effacer par une note lumineuse et gaie les lourdes tristesses de l’heure semble être le mot d’ordre, avec la discrétion toutefois qu’imposent les circonstances.
La dame qui connaissait les Guermantes depuis 1914 [...], lui faisait un bonjour de douairière,
[...] pour que les choses paraissent nouvelles, même si elles sont anciennes, et même si elles sont nouvelles, il faut en art, comme en médecine, comme en mondanité, des noms nouveaux [...]
[...], tout ce qui m’avait tant plu et dont elle faisait bon marché, [...]
[...], les nouveautés coupables ou non n’excitent l’horreur que tant qu’elles ne sont pas assimilées et entourées d’éléments rassurants.
Quelquefois encore on voyait autour d’elle les fragments inconnus d’un monde qu’on ne connaissait pas et qui n’étonnaient pas plus que des débris de coquille autour du poussin, ceux qui savaient l’œuf d’où Mme Bontemps était sortie.
[...], un plaisir qui dans les époques peu troublées n’est connu que par les mondains, mais que dans ces grandes crises le peuple même connaît.
[...] ces reliques de souvenirs d’Albertine, [...]
C’était, en somme, un très mauvais ami.
Fidèle à l’esthétique de son mari, [...]
[...], par le progrès fatal de l’esthétisme, qui finit par se manger la queue, [...]
[...] une séparation prolongée, en même temps qu’elle apaise les rancunes, réveille quelquefois l’amitié.
Ces paroles, qui auraient dû coûter à la fierté de la Patronne si elles ne lui avaient pas été dictées par son imagination, furent redites, mais sans succès.
[...] il est peu de réussites faciles, et d’échecs définitifs.
[...] un bout de jardin dans Paris ravit plus qu’un parc en province, [...]
[...] avec une indiscrétion que corrigeait seulement par bonheur le manque de sûreté de ses informations,
[...] la misère du soldat est plus grande que celle du pauvre, [...]
« On ne dirait pas que c’est la guerre ici. »
[...], par un raffinement d’une délicatesse délicieuse, [...]
[...] ces ombres d’arbres, légères comme des âmes, [...]
Et la femme qu’en levant les yeux bien haut on distinguait dans cette pénombre dorée prenait [...] le charme mystérieux et voilé d’une vision d’Orient.
J’avais déjà remarqué chez différentes personnes que l’affectation des sentiments louables n’est pas la seule couverture des mauvais, [...]
[...] son habitude, quand il avait commis une indiscrétion, fait une gaffe, et qu’on aurait pu les lui reprocher, de les proclamer en disant que c’était exprès.
Bloch avait été enchanté d’entendre l’aveu de la lâcheté d’un nationaliste [...]
Sa femme est idiote, je te l’abandonne.
[...] la prétention avoisine la bêtise [...]
Aussi Bloch nous annonça-t-il la mort du Kaiser d’un air mystérieux et important, mais aussi rageur.
[...] la vulgarité de Bloch, à la fois pleutre et fanfaron, qui criait à Saint-Loup : « Tu ne pourrais pas dire « Guillaume » tout court ? C’est ça, tu as la frousse, déjà ici tu te mets à plat ventre devant lui ! Ah ! ça nous fera de beaux soldats à la frontière, [...]
Il y a chez les travailleurs intelligents et vraiment sérieux une certaine aversion pour ceux qui mettent en littérature ce qu’ils font, le font valoir.
[...] elle eût trouvé non pas seulement inutile et ridicule, mais choquant et honteux de l’exprimer aux autres ; [...]
[...], évitant l’interrogation flagrante, moins pour être polie que pour ne pas sembler curieuse.
Enfin, comme les domestiques que nous aimons le plus [...] restent, hélas, des domestiques et marquent plus nettement les limites (que nous voudrions effacer) de leur caste au fur et à mesure qu’ils croient le plus pénétrer la nôtre, [...]
[...] ; avec une joie aussi dissimulée mais aussi profonde que si c’eût été une maladie grave, [...]
[...] étonnée comme devant un phénomène étrange, souriant un peu avec le mépris que cause quelque chose d’indécent, [...]
[...] on lit les journaux comme on aime, un bandeau sur les yeux. On ne cherche pas à comprendre les faits.
[...] non au niveau des événements, qui en eux-mêmes ne sont rien, mais de la banale esthétique, [...]
Françoise avait bien cherché partout, mais Paris est grand, les boucheries nombreuses, et elle avait eu beau entrer dans un grand nombre, elle n’avait pu retrouver le jeune homme timide et sanglant.
Il faut décidément l’arrivée des Allemands pour qu’on puisse entendre du Wagner à Paris.
[...] cette niaise satisfaction de soi.
M. de Charlus était arrivé aussi loin qu’il était possible de soi-même, ou plutôt il était lui-même si parfaitement masqué par ce qu’il était devenu et qui n’appartenait pas à lui seul, [...]
La guerre avait mis entre lui et le présent, [...], une coupure qui le reculait dans le passé le plus mort.
[...], d’un air doux et perspicace, en personne qui sait que la valeur de ce qu’elle dit ne paraîtra que plus précieuse si elle n’enfle pas la voix pour le dire [...]
[...], l’esprit juste-milieu des gens du monde la leur faisait repousser, [...]
Aussi celui-ci se sentait-il plus seul à la mort de M. Verdurin avec lequel il était pourtant brouillé depuis tant d’années, [...]
[...] l’immense être humain appelé France [...]
[...] de même qu’il est des corps d’animaux, des corps humains, c’est-à-dire des assemblages de cellules dont chacun par rapport à une seule est grand comme une montagne, de même il existe d’énormes entassements organisés d’individus qu’on appelle nations ; [...]
[...], la querelle prenait des formes immenses et magnifiques, comme le soulèvement d’un océan aux millions de vagues qui essaye de rompre une ligne séculaire de falaises, [...]
[...] M. de Charlus allait à ses plaisirs sans guère songer que les Allemands fussent — immobilisés, il est vrai, par une sanglante barrière toujours renouvelée — à une heure d’automobile de Paris.
[...] des arguments qui ne lui paraissent irréfutables que parce qu’ils répondent à sa passion.
Le véritable bourrage de crâne on se le fait à soi-même par l’espérance [...]
[...] depuis longtemps je savais que nos pensées ne s’accordent pas toujours avec nos paroles.
Toujours particulièrement instruit des tares sexuelles, il les connaissait chez quelques-uns qui, pensant qu’elles étaient ignorées chez eux, se complaisaient à les dénoncer [...]
[...], dans un souper à la Dostoïewski [...]
[...], parce que la vie nous déçoit tellement que nous finissons par croire que la littérature n’a aucun rapport avec elle [...]
[...]’un siècle tout de brutalité, [...]
[...] la bonne intention est une chose, le talent en est une autre, [...]
[...] les petits esprits sont écrasés non par la beauté, mais par l’énormité de l’action.
[...] comme avouant hardiment une faute qu’il savait très bien qu’on ne pouvait blâmer.
Ce n’est pas une des anomalies les moins choquantes de cette guerre.
Je le remerciai et il prit l’air modeste de quelqu’un qui n’exige pas de salaire.
« Ce qui est étonnant, dit-il, c’est que ce public qui ne juge ainsi des hommes et des choses de la guerre que par les journaux est persuadé qu’il juge par lui-même. »
[...] le journalisme, dans lequel Brichot se contentait, en somme, de donner tardivement, avec honneur et en échange d’émoluments superbes, ce qu’il avait gaspillé toute sa vie gratis et incognito dans le salon des Verdurin [...]
Or, Mme Verdurin ne commençait jamais un article de Brichot sans la satisfaction préalable de penser qu’elle allait y trouver des choses ridicules, et le lisait avec l’attention la plus soutenue pour être certaine de ne les pas laisser échapper.
Mais vous ne savez pas les délices que vous vous refusez.
Les gens du monde sont plus naïfs qu’on ne croit.
Devant lui Mme Verdurin ne laissait pas trop voir, sauf par une maussaderie qui eût averti un homme plus perspicace, le peu de cas qu’elle faisait de ce qu’il écrivait.
[...], encore qu’il n’ait pas eu de préface de notre doux maître en scepticisme délicieux, Anatole France, [...]
[...] le moi est toujours haïssable. »
Est-ce qu’une ville qui n’aura plus de beaux hommes ne sera pas comme une ville dont toute la statuaire aurait été brisée ?
Quel plaisir puis-je avoir à aller dîner au restaurant quand j’y suis servi par de vieux bouffons moussus qui ressemblent au Père Didon, [...]
[...] une telle quantité d’ensembles qui rendaient le moindre village de France instructif et charmant. »
[...] j’adore autant que vous certains symboles. Mais il serait absurde de sacrifier au symbole la réalité qu’il symbolise. Les cathédrales doivent être adorées jusqu’au jour où, pour les préserver, il faudrait renier les vérités qu’elles enseignent.
J’ai toujours honoré ceux qui défendent la grammaire, ou la logique. On se rend compte cinquante ans après qu’ils ont conjuré de grands périls.
La soif du sang noble affole une certaine populace qui en cela se montre plus raffinée que les lions.
[...] un incident possible dont je n’étais pas bien sûr s’il souhaitait ou redoutait que ma présence l’empêchât de se produire, [...]
Car sa frivolité était si systématique, que la naissance unie à la beauté et à d’autres prestiges était la chose durable — et la guerre, comme l’affaire Dreyfus, des modes vulgaires et fugitives.
[...], parlait gravement, ne faisait pour un moment aucune des manières où se révèlent ceux de sa sorte.
La plus grande impression de beauté que nous faisaient éprouver ces étoiles humaines et filantes était peut-être surtout de faire regarder le ciel vers lequel on lève peu les yeux d’habitude dans ce Paris dont, en 1914, j’avais vu la beauté presque sans défense attendre la menace de l’ennemi qui se rapprochait.
Il y avait certes, maintenant comme alors, la splendeur antique inchangée d’une lune cruellement, mystérieusement sereine, qui versait aux monuments encore intacts l’inutile beauté de sa lumière, mais comme en 1914, et plus qu’en 1914, il y avait aussi autre chose, des lumières différentes et des feux intermittents, que soit de ces aéroplanes, soit des projecteurs de la Tour Eiffel on savait dirigés par une volonté intelligente, par une vigilance amie qui donnait ce même genre d’émotion, inspirait cette même sorte de reconnaissance et de calme [...]
Après le raid de l’avant-veille, où le ciel avait été plus mouvementé que la terre, il s’était calmé comme la mer après une tempête.
J’avouai que non et peut-être je me trompais.
Sans doute ma paresse m’ayant donné l’habitude, pour mon travail, de le remettre jour par jour au lendemain, je me figurais qu’il pouvait en être de même pour la mort. Comment aurait-on peur d’un canon dont on est persuadé qu’il ne vous frappera pas ce jour-là ?
[...] aéroplane que, bien que je le susse meurtrier, je n’imaginais que stellaire et céleste, j’eusse vu un soir le geste de la bombe lancée vers nous.
[...] la réalité originale d’un danger n’est perçue que de cette chose nouvelle, irréductible à ce qu’on sait déjà, qui s’appelle une impression [...]
Alors le violoniste, tordant son visage pour un aveu qui lui coûtait sans doute extrêmement, me répondit en frissonnant : [...]
[...], la vertu je m’en fous ; la méchanceté, au contraire je commence à le plaindre ; [...]
[...] ; la frivolité d’une époque quand dix siècles ont passé sur elle est digne de la plus grave érudition, [...]
C’est toujours l’attachement à l’objet qui amène la mort du possesseur.
[...] et les gars de province, comme ils sont amusants et gentils avec leur roulement d’r et leur jargon patoiseur !
[...], la lune étroite et recourbée comme un sequin semblait mettre le ciel parisien sous le signe oriental du croissant.
[...] me dit-il, encore immobilisé par le passage du Sénégalais.
[...] à l’espèce d’ubiquité qui lui était si spéciale.
[...] j’en profitai pour tâcher d’assouvir, malgré l’inquiétude qui s’y mêlait, ma curiosité.
[...], criait-il avec un ton où perçait encore plus que le désir de vivre longtemps la conscience de raisonner juste, [...]
La banalité de ces conversations ne me donnait pas grande envie d’en entendre davantage, [...]
Tout cela pourtant, dans cette nuit paisible et menacée, gardait une apparence de rêve, de conte, et c’est à la fois avec une fierté de justicier et une volupté de poète que j’entrai délibérément dans l’hôtel.
« [...] Le 43 doit être libre », dit le jeune homme qui était sûr de ne pas être tué parce qu’il avait vingt-deux ans.
[...] à la hâte fébrile avec laquelle le jeune homme de vingt-deux ans retournait les dés et criait les résultats, les yeux hors de la tête, il était aisé de voir qu’il avait un tempérament de joueur.
« [...] Non seulement ce n’est pas un maquereau, mais à mon avis c’est même un imbécile. »
« [...] Pour Pamela la charmeuse », dit le chauffeur oriental dont le rire découvrit les belles dents blanches.
Le baron savait que Jupien, intelligent comme un homme de lettres, n’avait nullement l’esprit pratique, parlait toujours, devant les intéressés, avec des sous-entendus qui ne trompaient personne et des surnoms que tout le monde connaissait.
On peut charrier tant qu’on veut, mais quand on voit des types comme ça mourir, ça fait vraiment quelque chose.
[...], un exemplaire entre mille de ce magnifique langage, si différent de celui que nous parlons d’habitude, et où l’émotion fait dévier ce que nous voulions dire et épanouir à la place une phrase tout autre, émergée d’un lac inconnu où vivent des expressions sans rapport avec la pensée, et qui par cela même la révèlent.
[...], il dirigeait en cercle sur tous ces jeunes gens réunis un regard tendre et curieux et comptait bien avoir avec chacun le plaisir d’un bonjour tout platonique mais amoureusement prolongé.
On dirait que c’est la vérité. Après tout, qu’est-ce que ça fait que ce soit la vérité ou non puisqu’il arrive à me le faire croire.
Rien n’est plus limité que le plaisir et le vice.
Ici c’est le contraire des Carmels, c’est grâce au vice que vit la vertu.
L’aspect de chacun avait quelque chose de répugnant qui devait être la non-résistance à des plaisirs dégradants.
[...], effrayé par l’idée d’être mobilisé (bien qu’il semblât avoir dépassé la cinquantaine), comme il était très gros il s’était mis à boire sans arrêter pour tâcher de dépasser le poids de cent kilos, au-dessus duquel on était réformé.
Mais quelque vice, et le plus grand de tous, le manque de volonté qui empêche de résister à aucun, [...]
[...], le danger physique menaçant les délivrait de la crainte dont ils étaient maladivement persécutés depuis longtemps. Or, il est faux de croire que l’échelle des craintes correspond à celle des dangers qui les inspirent.
Ils ne se rendaient plus compte depuis longtemps de ce que pouvait avoir de moral ou d’immoral la vie qu’ils menaient, parce que c’était celle de leur entourage.
[...], comment un certain sentiment de dignité personnelle et de respect de soi-même ne l’avait-il pas forcé à refuser à sa sensualité certaines satisfactions dans lesquelles il semble qu’on ne pourrait avoir comme excuse que la démence complète ?
[...] pas plus méchant que le petit garçon qui dans les jeux de bataille est désigné au sort pour faire le « Prussien », et sur lequel tout le monde se rue dans une ardeur de patriotisme vrai et de haine feinte.
Dans les personnes que nous aimons, il y a, immanent à elles, un certain rêve que nous ne savons pas toujours discerner mais que nous poursuivons.
En quoi elle se trompait. Et voilà la valeur des témoignages et des souvenirs.
Il attendait les mauvaises nouvelles comme des œufs de Pâques, [...]
[...] comme beaucoup de personnes nerveuses, la nervosité des autres, trop semblable sans doute à la sienne, l’horripilait.
Mais cette prétérition même était moins pénible pour moi que des explications rétrospectives.
Et les yeux de Françoise se remplissaient de larmes mais à travers lesquelles perçait la curiosité cruelle de la paysanne.
[...] Françoise, qui trouvait du plaisir à pleurer, [...]
[...], la croix de guerre, eût-elle été gagnée dans les bureaux, tenait lieu de profession de foi pour entrer, dans une élection triomphale, à la Chambre des Députés, presque à l’Académie française.
[...] peut-on espérer transmettre au lecteur un plaisir qu’on n’a pas ressenti ?
De la même manière, par acquit de conscience, je me signalais à moi-même, comme à quelqu’un qui m’eût accompagné [...]
[...] un charme ne se transvase pas, les souvenirs ne peuvent se diviser, [...]
C’était qu’il était encore à l’âge des croyances, mais je l’avais dépassé, et j’avais perdu ce privilège, [...]
Mais le plus émouvant est qu’on sentait que cet éclat perdu était la fierté morale, et que par là la vie physique et même intellectuelle de M. de Charlus survivait à l’orgueil aristocratique, qu’on avait pu croire un moment faire corps avec elles.
[...], les malades exagérant la politesse, comme les rois.
[...] les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus.
[...], un être qui n’apparaissait que quand, par une de ces identités entre le présent et le passé, il pouvait se trouver dans le seul milieu où il pût vivre, jouir de l’essence des choses, c’est-à-dire en dehors du temps. Cela expliquait que mes inquiétudes au sujet de ma mort eussent cessé au moment où j’avais reconnu, inconsciemment, le goût de la petite madeleine, puisqu’à ce moment-là l’être que j’avais été était un être extra-temporel, par conséquent insoucieux des vicissitudes de l’avenir.
[...], chaque fois que le miracle d’une analogie m’avait fait échapper au présent.
[...] j’avais pu trouver le monde et la vie ennuyeux parce que je les jugeais d’après des souvenirs sans vérité, alors que j’avais un tel appétit de vivre, maintenant que venait de renaître en moi, à trois reprises, un véritable moment du passé.
Tant de fois, au cours de ma vie, la réalité m’avait déçu parce que, au moment où je la percevais, mon imagination, qui était mon seul organe pour jouir de la beauté, ne pouvait s’appliquer à elle, en vertu de la loi inévitable qui veut qu’on ne puisse imaginer que ce qui est absent.
[...] l’ébranlement effectif de mes sens [...] avait ajouté aux rêves de l’imagination ce dont ils sont habituellement dépourvus, l’idée d’existence et [...] avait permis à mon être d’obtenir, d’isoler, d’immobiliser [...] ce qu’il n’appréhende jamais : un peu de temps à l’état pur.
[...] ; les grandes tragédiennes meurent souvent victimes de complots domestiques noués autour d’elles, comme il leur arrivait tant de fois à la fin des pièces qu’elles jouaient.
Le signe de l’irréalité des autres ne se montre-t-il pas assez, soit dans leur impossibilité à nous satisfaire, [...]
[...], l’artiste qui renonce à une heure de travail pour une heure de causerie avec un ami sait qu’il sacrifie une réalité pour quelque chose qui n’existe pas [...]
[...] n’étaient pas des déceptions différentes, mais l’aspect varié que prend, selon le fait auquel il s’applique, l’impuissance que nous avons à nous réaliser dans la jouissance matérielle, dans l’action effective.
Mais ce n’étaient que des excuses parce qu’ils n’avaient pas ou plus de génie, c’est-à-dire d’instinct. Car l’instinct dicte le devoir et l’intelligence fournit les prétextes pour l’éluder. Seulement les excuses ne figurent point dans l’art, les intentions n’y sont pas comptées, à tout moment l’artiste doit écouter son instinct, ce qui fait que l’art est ce qu’il y a de plus réel, la plus austère école de la vie, et le vrai Jugement dernier.
L’art véritable n’a que faire de tant de proclamations et s’accomplit dans le silence.
On cherche à se dépayser en lisant, et les ouvriers sont aussi curieux des princes que les princes des ouvriers.
Une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats.
[...], je m’apercevais que, pour exprimer ces impressions, pour écrire ce livre essentiel, le seul livre vrai, un grand écrivain n’a pas, dans le sens courant, à l’inventer puisqu’il existe déjà en chacun de nous, mais à le traduire. Le devoir et la tâche d’un écrivain sont ceux d’un traducteur.
[...] communiquer à d’autres amateurs avec qui la conversation sera possible, parce que nous leur parlerons d’une chose qui est la même pour eux et pour nous, [...]
Encore, si risibles que soient ces amateurs, ils ne sont pas tout à fait à dédaigner. Ils sont les premiers essais de la nature qui veut créer l’artiste, aussi informes, aussi peu viables que ces premiers animaux qui précédèrent les espèces actuelles et qui n’étaient pas constitués pour durer.
[...] la faculté de lancer des idées, des systèmes, et surtout de se les assimiler, a toujours été beaucoup plus fréquente, même chez ceux qui produisent, que le véritable goût, mais prend une extension plus considérable depuis que les revues, les journaux littéraires se sont multipliés (et avec eux les vocations factices d’écrivains et d’artistes).
Mais dès que l’intelligence raisonneuse veut se mettre à juger des œuvres d’art, il n’y a plus rien de fixe, de certain : on peut démontrer tout ce qu’on veut.
[...], la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie, [...]
[...] le style, pour l’écrivain aussi bien que pour le peintre, est une question non de technique, mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s’il n’y avait pas l’art, resterait le secret éternel de chacun. Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre [...]
[...] autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, [...]
[...], les buts pratiques que nous appelons faussement la vie.
[...], c’est ce travail que l’art défera, c’est la marche en sens contraire, le retour aux profondeurs, [...]
[...] c’était avant tout abroger ses plus chères illusions, cesser de croire à l’objectivité de ce qu’on a élaboré soi-même, [...]
[...], toute cette immensité réglée par des lois, sur laquelle, postés à une fenêtre mal placée, nous n’avons pas vue, car le calme du bonheur la laisse unie et à un niveau trop bas ; peut-être seulement pour quelques grands génies ce mouvement existe-t-il constamment sans qu’il y ait besoin pour eux des agitations de la douleur ; [...]
[...] notre amour [...] est une portion de notre âme plus durable que les moi divers qui meurent successivement en nous et qui voudraient égoïstement le retenir, portion de notre âme [...]
[...] les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l’obscurité et du silence.
[...] comme l’art recompose exactement la vie, autour des vérités qu’on a atteintes en soi-même flottera toujours une atmosphère de poésie, la douceur d’un mystère qui n’est que le vestige de la pénombre que nous avons dû traverser, [...]
[...] le ressentiment de l’affront, les douleurs de l’abandon auront alors été les terres que nous n’aurions jamais connues, et dont la découverte, si pénible qu’elle soit à l’homme, devient précieuse pour l’artiste [...]
J’avais bien souffert successivement pour Gilberte, pour Mme de Guermantes, pour Albertine. Successivement aussi je les avais oubliées, et seul mon amour, dédié à des êtres différents, avait été durable.
[...] ; un livre est un grand cimetière où sur la plupart des tombes on ne peut plus lire les noms effacés.
Là où la vie emmure, l’intelligence perce une issue, car, s’il n’est pas de remède à un amour non partagé, on sort de la constatation d’une souffrance, ne fût-ce qu’en en tirant les conséquences qu’elle comporte.
Parfois, quand un morceau douloureux est resté à l’état d’ébauche, une nouvelle tendresse, une nouvelle souffrance nous arrivent qui nous permettent de le finir, de l’étoffer.
Le bonheur est salutaire pour le corps, mais c’est le chagrin qui développe les forces de l’esprit.
[...], arrachant chaque fois les mauvaises herbes de l’habitude, du scepticisme, de la légèreté, de l’indifférence.
Le chagrin finit par tuer.
Et ce ne serait rien que les poches des yeux et les rides du front s’il n’y avait la souffrance du cœur.
Les idées sont des succédanés des chagrins ; au moment où ceux-ci se changent en idées, ils perdent une partie de leur action nocive sur notre cœur, et même, au premier instant, la transformation elle-même dégage subitement de la joie.
[...] il semble que l’élément premier ce soit l’idée, et le chagrin seulement le mode selon lequel certaines idées entrent d’abord en nous.
Quant au bonheur, il n’a presque qu’une seule utilité, rendre le malheur possible.
Et plus qu’au peintre, à l’écrivain, pour obtenir du volume, de la consistance, de la généralité, de la réalité littéraire, comme il lui faut beaucoup d’églises vues pour en peindre une seule, il lui faut aussi beaucoup d’êtres pour un seul sentiment, [...]
Ce sont nos passions qui esquissent nos livres, [...]
Car à l’être que nous avons le plus aimé nous ne sommes pas si fidèles qu’à nous-même, et nous l’oublions tôt ou tard pour pouvoir [...] recommencer d’aimer.
Les années heureuses sont les années perdues, on attend une souffrance pour travailler.
Les chagrins sont des serviteurs obscurs, détestés, contre lesquels on lutte, [...], impossibles à remplacer et qui par des voies souterraines nous mènent à la vérité et à la mort.
Nous ne lui en avons aucune reconnaissance, sans que cela soit faire preuve d’ingratitude.
La jalousie est un bon recruteur qui, quand il y a un creux dans notre tableau, va nous chercher dans la rue la belle fille qu’il fallait.
[...], le Temps qui d’habitude n’est pas visible, qui pour le devenir cherche des corps et, partout où il les rencontre, s’en empare pour montrer sur eux sa lanterne magique.
Tous ces traits nouveaux du visage impliquaient d’autres traits de caractère ; l
Une jeune femme que j’avais connue autrefois, maintenant blanche et tassée en petite vieille maléfique, [...]
[...], je m’aperçus pour la première fois, d’après les métamorphoses qui s’étaient produites dans tous ces gens, du temps qui avait passé pour eux, ce qui me bouleversa par la révélation qu’il avait passé aussi pour moi.
[...] comme semble presque droite une bossue bien arrangée.
[...] c’est avec des adolescents qui durent un assez grand nombre d’années que la vie fait ses vieillards.
[...] celui qui vit peu en soi-même, se règle sur le calendrier, et ne découvre pas d’un seul coup le total des années dont il a poursuivi quotidiennement l’addition.
[...], et ces souvenirs avaient pour lui la poésie et la mélancolie de la jeunesse.
[...] la mémoire dure moins que la vie chez les individus, [...]
[...], ouvrages sans originalité, mais qui donnaient aux jeunes gens et à beaucoup de femmes du monde l’impression d’une hauteur intellectuelle peu commune, d’une sorte de génie.
Un nom, c’est tout ce qui reste bien souvent pour nous d’un être, non pas même quand il est mort, mais de son vivant.
Bloch était entré en sautant comme une hyène.
[...] des remarques témoignant que j’étais entièrement ignorant des souvenirs qui constituaient son passé [...]
Pour moi qui avais passé enfermé dans ma vie et la voyant du dedans, celle de Legrandin me semblait n’avoir aucun rapport et avoir suivi un chemin opposé, [...]
La discrétion, discrétion dans les actions, dans les paroles, lui était venue avec la situation sociale et l’âge, avec une sorte d’âge social, si l’on peut dire.
[...] même à égalité de mémoire, deux personnes ne se souviennent pas des mêmes choses.
[...] un intérêt plus profond, plus désintéressé, diversifie les mémoires, si bien que le poète, qui a presque tout oublié des faits qu’on lui rappelle, retient une impression fugitive.
[...], comme si la vie ne possédait qu’un nombre limité de fils pour exécuter les dessins les plus différents.
[...], son charme ne m’était visible qu’à distance et s’évanouissait quand j’étais près d’elle, car il résidait dans ma mémoire et dans mon imagination.
La mort se multipliait et devenait plus incertaine dans ces régions âgées.
Leur mort était la seule manière dont elle prît encore agréablement conscience de sa propre vie.
[...] toute mort est pour les autres une simplification d’existence, ôte le scrupule de se montrer reconnaissant, l’obligation de faire des visites.
[...] l’épanouissement des goûts, habituellement inséparables chez les femmes du monde, de s’instruire et de s’encanailler.
[...] on arrange aisément les récits du passé que personne ne connaît plus, comme ceux des voyages dans les pays où personne n’est jamais allé.
Même chez moi je ne laisserais pas les gens venir me voir dans mes instants de travail, car le devoir de faire mon œuvre primait celui d’être poli, ou même bon.
[...], un rendez-vous urgent, capital, avec moi-même.
[...], car le temps qui change les êtres ne modifie pas l’image que nous avons gardée d’eux.
[...] la forme inconnue de cette immonde vieille, [...]
[...] on se résigne volontiers à abréger le martyre des malades quand ce qui est destiné à l’abréger nous profite à nous-même,[...]
Tout le monde se regardait, ne sachant trop quelle tête faire ; [...]
[...] le temps qui passe n’amène pas forcément le progrès dans les arts.
Elle ne croyait pas avoir à affermir une position qu’elle jugeait inébranlable.
Son esprit fatigué réclamait une nouvelle alimentation.
[...], elle continuait à croire que s’ennuyer facilement était une supériorité intellectuelle, [...]
[...] puisque les meilleurs écrivains cessent souvent aux approches de la vieillesse, ou après un excès de production, d’avoir du talent, on peut bien excuser les femmes du monde de cesser, à partir d’un certain moment, d’avoir de l’esprit.
[...], la duchesse, timorée, avec les apparences superbes de l’audace, répondait insolemment : [...]
Mon Dieu, qu’il se soit remis à me tromper, ça ne pourrait que me flatter parce que ça me rajeunit. Mais je préférais son ancienne manière. Dame, il y avait trop longtemps qu’il ne m’avait trompée, il ne se rappelait plus la manière de s’y prendre !
[...], insensible à cette poésie de l’incompréhensible, [...]
[...], nos propres erreurs et nos propres ridicules ayant rarement pour effet de nous rendre, même quand nous les avons percés à jour, plus indulgents à ceux des autres.
[...] les femmes appellent gentillesse se souvenir de leur beauté comme les artistes admirer leurs œuvres.
[...] longtemps après que les pauvres morts sont sortis de nos cœurs, leur poussière indifférente continue à être mêlée, à servir d’alliage, aux circonstances du passé.
[...], au fond, le talent n’a besoin de personne, [...]
[...], elle s’était faite assez humble, interrogeant les autres, leur demandant leur opinion pour s’en former une.
[...] cet intelligent public, qui s’appelle le monde, ne comprenait absolument rien à cela.
Il n’était plus qu’une ruine, mais superbe, et plus encore qu’une ruine, cette belle chose romantique que peut être un rocher dans la tempête.
Nous ne nous méfions pas des femmes qui ne sont pas notre genre, nous les laissons nous aimer, et si nous les aimons ensuite, nous les aimons cent fois plus que les autres, sans avoir même près d’elles la satisfaction du désir assouvi.
[...] ce qui est dangereux et procréateur de souffrances dans l’amour, ce n’est pas la femme elle-même, c’est sa présence de tous les jours, la curiosité de ce qu’elle fait à tous moments ; ce n’est pas la femme, c’est l’habitude.
[...] la mémoire, en introduisant le passé dans le présent sans le modifier, tel qu’il était au moment où il était le présent, supprime précisément cette grande dimension du Temps suivant laquelle la vie se réalise.
[...] ils ne seraient pas [...] mes lecteurs, mais les propres lecteurs d’eux-mêmes, mon livre n’étant qu’une sorte de ces verres grossissants [...] grâce auquel je leur fournirais le moyen de lire en eux-mêmes.
[...], avec une figure de commisération qui exagère toujours un peu ce qu’a de pénible un labeur qu’on ne pratique pas, qu’on ne conçoit même pas, et même une habitude qu’on n’a pas, [...]
« [...], il n’y a pas de fourreurs qui s’y connaissent aussi bien comme les mites. Elles se mettent toujours dans les meilleures étoffes. »
[...], idée avec laquelle j’avais fini par vivre sans même m’apercevoir de sa présence, car nos plus grandes craintes, comme nos plus grandes espérances, ne sont pas au-dessus de nos forces, et nous pouvons finir par dominer les unes et réaliser les autres.
L’esprit a ses paysages dont la contemplation ne lui est laissée qu’un temps.
Mais déjà vient la nuit, où l’on ne peut plus peindre, et sur laquelle le jour ne se relèvera plus !
[...] avoir un corps c’est la grande menace pour l’esprit.
[...] le corps enferme l’esprit dans une forteresse ; [...]
[...] sentir très nettement en moi l’objet présent de ma pensée, [...]
[...] tous les altruismes féconds de la nature se développent selon un mode égoïste, l’altruisme humain qui n’est pas égoïste est stérile, [...]
Je savais très bien que mon cerveau était un riche bassin minier, où il y avait une étendue immense et fort diverse de gisements précieux. Mais aurais-je le temps de les exploiter ? J’étais la seule personne capable de le faire
[...] je comprenais que mourir n’était pas quelque chose de nouveau, mais qu’au contraire depuis mon enfance j’étais déjà mort bien des fois.
[...], dans cette ignorance, qui est la nôtre, que l’aiguille est arrivée sur le point précis où le ressort déclenché de l’horlogerie va sonner l’heure.
[...] dans un de ces festins de barbares qu’on appelle dîners en ville et où, pour les hommes en blanc, pour les femmes à demi nues et emplumées, les valeurs sont si renversées que quelqu’un qui ne vient pas dîner après avoir accepté, ou seulement n’arrive qu’au rôti, commet un acte plus coupable que les actions immorales dont on parle légèrement pendant ce dîner [...]
Et j’étais écrasé d’imposer à mon existence agonisante les fatigues surhumaines de la vie.
[...] je m’efforcerais de donner, ne pas changer la place des sons, m’abstenir de les détacher de leur cause, à côté de laquelle l’intelligence les situe après coup, [...]
[...]faire varier aussi la lumière du ciel moral selon les différences de pression de notre sensibilité ou selon la sérénité de notre certitude, [...]
[...] après la mort le Temps se retire du corps [...]
[...], comme si les hommes étaient juchés sur de vivantes échasses grandissant sans cesse, [...], finissant par leur rendre la marche difficile et périlleuse, et d’où tout d’un coup ils tombent.

Le temps retrouvé (Proust)
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