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Belle du seigneur - Albert Cohen

 
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Dom



Inscrit le: 26 Oct 2020
Messages: 15
Localisation: Espagne

MessagePosté le: Dim Nov 01, 2020 7:03 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Belle du Seigneur, Albert Cohen
LES GRANDS AXES DU LIVRE :

Le sentiment amoureux.

J’ai lu quelquefois que Belle du Seigneur était un roman d’amour.
Je n’ai jamais rien lu d’aussi faux. Et si, comme je l’ai entendu dans une interview de Cohen, il a écrit ce livre pour une femme, drôle de cadeau en négatif.
L’amour pousse sur un terreau truqué : l’apparence, le physique appétissant, la jeunesse, la dentition complète.
Il est périssable, condamné: on a beau l’entourer de soins attentifs, il ne dure pas.
Et il devient vite une corvée s’il est vécu en vase clos.
Les deux héros en meurent. Oh ! Les pages inoubliables de ce double suicide !
Les gestes de l’acte sexuel sont saccagés : étude clinique, humoristique et objective de la copulation, certaines pages peuvent justifier le choix de la chasteté !
La description du baiser-douanier, de cette exploration mutuelle des muqueuses ….Ah ! Il faudra l’oublier très vite (impossible) avant d’embrasser.
Il annihile toute éthique : mais ça ce n’est pas nouveau ! L’envoi du mari en mission, l’étui à cigarettes offert à l’amant, le nid d’amour au domicile des parents du conjoint. Tout énumérer serait un inventaire fastidieux et mesquin.
Sous toute séduction, même subtile et raffinée, un schéma primitif : la femme sélectionne l’homme le plus fort et le plus armé pour la lutte et la chasse : pectoraux, dentition, force athlétique. L’homme choisit la femme pour assurer la reproduction : les « globes », les hanches etc.…On a beau draper tout ça sous des oripeaux poétiques et éthérés, on n’y coupe pas !

Les Autres.

Les Autres et les Juifs : La judaïté de Cohen est omniprésente. Ce n’est pas la croyance en Dieu qui lui tient à cœur, je crois. C’est plutôt l’aspect philosophique et social des religions monothéistes : elles sont un progrès dans l’organisation des sociétés. La Loi du Talmud, le Nouveau Testament sont une négation des pulsions primitives. Une lutte contre la nature.
L’Allemagne du IIIº Reich serait l’illustration du contraire : culte du corps, de l’exercice physique, exaltation de poèmes épiques (Nibelungen) ; en contre position, l’image du juif errant….
Les Juifs vus par les Autres : Cohen fait fort sur ce terrain ; l’outrance nous touche d’autant plus qu’elle est familière : c’est un écho douloureux de tout l’argumentaire antisémite déployé au cours des siècles. Depuis le « sale juif » d’Ariane, au début, jusqu’à l´épisode poignant des Rosenfeld.
Être un apatride (comme Solal), être un étranger au parler et au comportement insolites (comme Mangeclous et ses quatre Valeureux), en définitive, c’est être Juif.
Les Autres peuvent être des persécuteurs, ou dans le meilleur des cas, vindicatifs : la cave de Berlin, passage qui, pour moi, reste assez obscur : prémonitoire, si le texte, comme on le sait, a été écrit en 1930 ; et retouché, si on pense que le livre a été donné à la publication en 1968.
Ni Solal, ni Ariane, ni aucun des personnages ne s’appuie sur un tissu social, n’a de rapport avec ses semblables. Mme Deume mère est la seule qui fraie quelque peu avec ses chères amies…mais il s’agit toujours d’un calcul.
L’éviction de Solal de son poste de « sous-bouffon » à la SDN est bien due à ce rejet d’un élément discordant par un groupe hostile. Comme un point noir qu’on presse entre deux doigts agressifs….

La Mort.

Nous sommes des morts en sursis : obsession de Solal/Cohen.
Dès les premières pages, Solal s’emploie à se présenter comme un futur vieux, un futur mortel, un futur mort…l’horreur pour la jeune femme.
Il faut remarquer que cette obsession n’est présente que dans les chapitres Solal. (L’univers féminin est un univers de vie.)
Rien de plus à dire. C’est vrai ! Seulement, quand on est amoureux, d’habitude, on n’y pense pas….
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Hoël
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Messages: 3305
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MessagePosté le: Lun Nov 02, 2020 8:33 am    Sujet du message: Répondre en citant

Surtout se rappeler que Belle du seigneur est l'aboutissement d'un cycle où Cohen paufine sa prose comme ses personnages.

Et donc, lire dans l'ordre Solal, Mangeclous, Les valeureux et Belle du seigneur.
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theyoubot



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MessagePosté le: Mer Nov 04, 2020 11:54 am    Sujet du message: Répondre en citant

Dom a écrit:
Belle du Seigneur, Albert Cohen. LES GRANDS AXES DU LIVRE (...)

Les thèmes, c'est une chose. Mais qu'est ce que ça vaut sur le plan littéraire ? Il y a des qualités d'écriture que tu as appréciées ? Ou qui font cruellement défaut au récit ? Tu as aimé le lire ? Tu le conseilles ?
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krys



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MessagePosté le: Mer Nov 04, 2020 3:19 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Je n'ai lu que celui-ci du cycle, mais j'en garde un très bon souvenir. Je l'ai trouvé drôle dans ses descriptions de la SDN, et dans les rencontres des deux jeunes amoureux, puis de leur histoire complètement loufoque (même la femme de ménage en rit en cachette !). Il y a aussi des passages au rythme atypique, très "nouveau roman" pas toujours faciles à lire. De l'absurde aussi. Pour moi c'est plutôt une critique de l'amour romantique, voué à se ternir rapidement, et complètement déconnecté du réel.
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Dom



Inscrit le: 26 Oct 2020
Messages: 15
Localisation: Espagne

MessagePosté le: Jeu Nov 05, 2020 6:17 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Pour répondre à Theyoubot, (Je sais qu'il a détesté Belle du seigneur,), je mets en vrac tout ce qui m'a plu dans ce roman, justement dans l'écriture.

ALBERT COHEN, ÉCRIVAIN.

Jamais rien lu d’aussi original, d’aussi personnel, d’aussi réussi.

Écriture polyphonique.
Ariane est la voix dominante, entièrement exposée, que ce soit au style direct ;( ses monologues de salle de bains, son journal) ou bien au style indirect (ses visites au couturier, le sublime passage de la « robe voilière »-Dieu que c’est beau !)
Solal est souvent en retrait, (je ne me souviens pas si à certaines pages, on a la voix de Solal à la première personne…) sauf vers la fin, lorsqu’on passe au style indirect introspectif : l’ennui de l’amour, les subterfuges pour relancer le jeu et le suicide qui devient une ultime communion. Là, c’est lui (ou Cohen) qui mène le jeu.
Mais Cohen nous fait un cadeau à chaque chapitre : la SDN et ses couloirs, le petit Deume en gros plan, la mère Deume et ses amies, sa religion de pacotille, le père Deume et son univers déjanté, tout ça on l’entend, on y est, grâce à cette technique de prise de voix de l’auteur. Quelquefois, c’est carrément à la première personne, (Deume fils, Marielle, Deume père) parfois ça reste à la troisième personne, par exemple pour Mme Deume mère. Parfois encore, et c’est vertigineux, les personnages se chevauchent, comme le magnifique passage du retour du mari, mixé avec la préparation de la fugue des amants.

Grotesque, humour et ironie :

L’irruption du grotesque dans l’œuvre est dérangeant, comme une poussée d’urticaire, un grain de folie, un ras de marée surréaliste.
Les Quatre Valeureux, personnages sortis tout droit du passé corfiote de Cohen, mais qu’il donne pour Céphaloniens, Juifs anachroniques, solennellement et tendrement campés sur le bitume genevois, ne sont qu’une douloureuse constatation de la marque juive. Pas besoin d’étoile jaune.
L’humour juif se caractérise, paraît-il, par le fait qu’il s’exerce toujours sur leurs travers. L’épisode des Rosenfeld semble un bon échantillon….presque une série de gags de film.
Écrit par un Juif, on peut en rire.
D’ailleurs, on rit souvent dans ce livre. La SDN, les tactiques de préparation de réception chez les Deume, la rencontre du Céphalonien et du père Deume (complètement délirante)
Mais on ne peut pas rire tout le temps ….

Le lecteur bousculé.

Le génie de Cohen est que n’étant pas un théoricien des Lettres, n’étant affilié à aucun courant, à aucun groupe (que je sache…) genre Nouveau Roman, par exemple, il a mis sur pied un exercice périlleux : malmener le lecteur, lui donner à lire des pages abruptes, dures jusqu’à l’insoutenable, et puis, revenir à un registre plus léger, tendre moquerie, pour ensuite repartir sur une vision apocalyptique (cave de Berlin, errance finale des deux amants…)
Pas d’unité de ton. Pas d’unité de genre.
Et c’est très bien ainsi : à chaque page, le lecteur est amené à une « attitude responsive ». Ce qui caractérise une grande œuvre.

Contente de savoir qu'avec Krys, nous sommes déjà au moins deux à avoir apprécié.
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theyoubot



Inscrit le: 20 Avr 2005
Messages: 4280

MessagePosté le: Jeu Nov 05, 2020 7:20 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Merci pour ton avis
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