Posté le: Lun Juil 29, 2013 7:57 am Sujet du message: Cartographie des nuages - David Mitchell
Voici un roman à narrateurs successifs. D'abord nous entrons par le récit avec un jeune notaire du milieu du XIXème, parti en mer pour une mission marchande et découvrant les peuples aborigènes, ainsi que le comportement des hommes loin du regard de la société. Le récit s'interrompt au milieu d'une phrase et on se retrouve dans un autre lieu, dans un autre temps, quelques années avant la Deuxième Guerre Mondiale, dans la peau d'un jeune musicien moins virtuose qu'acharné. En quête d'un mentor, d'un guide qu'il s'en va chercher au culot par ses maigres moyens. Immédiatement le style change du tout au tout. Car tout y diffère, non seulement le langage, qui s'appauvrit un brin, mais vraiment le style, comme si le roman avait été composé à plusieurs mains (l'effet est vraiment réussi, à un tel point qu'il vous donne alors envie de dire : la magie opère). Et ô surprise, ce jeune musicien retrouve chez ce maître-ci qu'il espérait notre premier récit, celui du notaire, interrompu à l'endoit même où il avait été interrompu pour nous. Il se sent - sans pouvoir se l'expliquer - attiré par ce récit et en cherche la suite parallèlement à sa quête première. Puis son récit est lui aussi arrêté en pleine envolée pour glisser dans les années 70, sur une journaliste américaine à deux doigts de dénoncer un groupe d'industrieux véreux tapant dans le nucléaire, la jonction avec le récit du musicien s'opère (par un moyen différent que je ne révélerai pas ici), puis ce récit-ci aussi glisse plus loin dans le temps, sur un autre narrateur du futur connecté lui aussi à ce témoignage passé et vivant en même temps sa propre vie. Et ainsi de suite jusqu'à arriver à un point éloigné distant du futur où le processus s'inverse pour replonger dans son passé par la même série de narrateur et ainsi découvrir l'ensemble de la finalité de leur destinées.
Outre une idée de base, et un concept littéraire assez peu usité, il y a surtout une maîtrise et un intérêt immédiat - quoique non, pas si immédiat que ça, mais au moins véritable - à l'utiliser. Trop souvent en littérature on assiste à de grands effets de composition, oui mais complètement déconnectés de leur sujet, absolument artificiels. Cartographie des nuages ne s'inscrit pas dans cette paresse intellectuelle. Tout se justifie ici sans heurt. En outre, le travail sur le langage est admirable. De son appauvrissement progressif qui finit par le faire tomber dans un grotesque qui heurte notre nostalgie en comparaison à ce qu'il était auparavant et que nous connaissions - beau, riche et poétique - à ses sursauts, ses batailles, en passant à ce qu'il signifie, ce qu'il révèle sur l'état du monde qui l'altère, le remodèle à sa guise, le torture et le meurtrit, oui, tout ça regorge de trouvailles, mais surtout d'une maîtrise puissante de la langue, d'une imagination des néologismes à s'en mettre des claques pour y croire tellement c'est impossible.
Par delà ces observations se cache finalement un récit humaniste, sur les luttes de chacun pour ne pas être juste un parmi la masse, mais pour faire valoir son droit à la bonté, à l'humanisme, à la différence. Témoignages de luttes, pas toujours concluantes, mais engageant l'être dans son entier. Cela fait toujours plaisir de constater que quelques romans sont non seulement superbes dans l'écriture et la création, mais se dressent pour faire montre du meilleur de ce qu'exister signifie. La dernière phrase du roman est une merveille d'humanité, de poésie et de simplicité, et je vous la laisserai découvrir si votre curiosité y fait. Ma question est : êtes-vous curieux jusque là ?
PS : Le blockbuster qui en a été tiré (Cloud Atlas) s'est permis des changements majeurs dans les personnages et dans le sens du récit original. Pour moi, ces choix sont malhabiles et ont participé à tuer la richesse de l'histoire. Après comme d'hab', quelque soit la force de ma conviction, finalement, tout ça n'engagera jamais que moi.
Posté le: Lun Juil 29, 2013 8:53 am Sujet du message: Re: Cartographie des nuages - David Mitchell
Pour moi, Cartographie des nuages est un recueil de nouvelles de qualité inégale. Il essaie de se faire passer pour un roman avec un fil rouge qui ne trompe personne. Ma nouvelle préférée est celle d'Adam Ewing. Le reste oscille entre passable et ennuyeux.
Yorke a écrit:
Le blockbuster qui en a été tiré (Cloud Atlas) s'est permis des changements majeurs dans les personnages et dans le sens du récit original. Pour moi, ces choix sont malhabiles et ont participé à tuer la richesse de l'histoire.
Le film passe complètement à côté du livre (pour des raisons diverses sur lesquelles je ne m'étendrai pas). Le résultat est méconnaissable. Mais encore une fois, on a l'habitude. Pour apprécier le film à sa juste valeur (pas très élevée selon moi), il faut le visionner en se rappelant qu'il n'aura aucun rapport avec le bouquin. § adaptations cinématographiques
PS : j'avais essayé de poster, comme toi, des sondages plus fins. Mais l'équipe du forum avait refusé par souci d'harmonisation. _________________ Tennis de Table Bordeaux
Posté le: Lun Juil 29, 2013 11:26 am Sujet du message:
Waouh, c'est la première fois que je vois quelqu'un sur ce livre qui passe sur la cohésion d'ensemble, sur ce qui unit tous les personnages ! Menfin ok, bien, soit, tous les avis sont bons à écouter.
Quant à dire que l'imposture ne trompe "personne", euh, je crois que je viens de démontrer l'exact contraire juste en haut, étant convaincu qu'il n'y a rien de ce que tu avances dans ce roman. Quels exemples viennent étayer ton argument (en dehors de la "tache" - je ne développe pas pour ne pas tuer un élément important du livre - ça à la limite, je veux bien que ça ne soit pas clair) ?
Posté le: Lun Juil 29, 2013 11:50 am Sujet du message:
Yorke a écrit:
Waouh, c'est la première fois que je vois quelqu'un sur ce livre qui passe sur la cohésion d'ensemble
Ce qui relie les personnages principaux de chaque histoire est parfaitement clair. Ca ne change rien. Il s'agit d'un recueil de nouvelles déguisé en roman. Lieux différents, époques différentes, enjeux différents, personnages différents, émotions différentes.
Contrairement à ce tu écris, je n'attends pas d'un recueil de nouvelles une quelconque "cohésion d'ensemble". Mon attente est la même que par rapport à un roman : une constance dans la qualité. C'est le point faible que je soulignais dans 'Cartographie des nuages'.
Il va de soi que cet avis n'engage que moi. D'autres trouveront que les histoires qui suivent celles d'Adam Ewing sont aussi bonnes, voire meilleures. Leur avis, ton avis, a au moins autant de valeur que le mien, en tous cas à mes yeux. _________________ Tennis de Table Bordeaux
Mais, comment tu justifies que ce roman soit un recueil de nouvelles ? alors que tout le présente ici comme un roman (d'où l'importance de la cohésion).
Posté le: Jeu Aoû 22, 2013 2:01 am Sujet du message:
"Tout" dans le sens des infos ainsi citées, mais bien avant, de la part de l'auteur lui-même, David Mitchell. Est-ce qu'alors, nier sa définition de son propre ouvrage ce n'est pas obligatoirement douter de sa sincérité ?
(Désolé du temps de réponse, j'ai pris quelques jours pour profiter du Soleil)
Posté le: Jeu Aoû 22, 2013 7:48 pm Sujet du message:
Yorke a écrit:
l'auteur lui-même, David Mitchell (...) sa définition de son propre ouvrage
L'auteur n'a pas d'autres choix. Un roman se vend mieux qu'un recueil de nouvelles. Aussi, ce n'est ni la première ni la dernière fois qu'on refile un recueil de nouvelles déguisé en roman.
Mais là, la ficelle marketing est juste flagrante. _________________ Tennis de Table Bordeaux
J'ai plutôt bien aimé, même si le principe me laissait espérer quelque chose de plus ébouriffant que ça.
Les différents chapitres sont effectivement inégaux, mais je ne réduirais pas le roman à un simple recueil de nouvelles maquillées : les personnages sont liés par un étrange grain de beauté ; par un effet de poupées russes, lisent/écoutent l'histoire de leurs prédécesseurs ; sans parler d'allusions plus fines sur les liens qui les unissent:
Spoiler:
Par exemple: la journaliste qui a horreur des armes à feu, à cause de son suicide par arme à feu dans sa vie antérieure de pianiste
En outre, il y a en trame de fond une réflexion sur l'évolution de la société, sur le rapport civilisation/barbarie et sur la nature humaine à la fois créatrice et (auto)destructrice, qui ne fonctionne que grâce à l'articulation de ces différents chapitres.
Donc dans le pire des cas, c'est un hybride roman-recueil.^^
Posté le: Mar Aoû 27, 2013 12:23 am Sujet du message:
Ptyx a écrit:
il y a en trame de fond une réflexion sur l'évolution de la société, sur le rapport civilisation/barbarie et sur la nature humaine à la fois créatrice et (auto)destructrice
Il n'y a aucune réflexion. Zéro, nada. Le livre montre des actes barbares et magnifiques à différentes époques. Aucune idée, aucun argument, aucune thèse n'en ressort, aucune vision globale et/ou synthétique ne sont présentés. Le livre ne boxe pas pas dans cette catégorie là. Ceci dit, le fait que tu le dises ne doit pas déranger l'auteur. Beaucoup de livres ou de films de divertissement espèrent être annoblis de la sorte, c'est pour les ventes. De plus, on le comprend en lisant en lisant ton message, ça améliore le déguisement en roman de ce recueil de nouvelles. _________________ Tennis de Table Bordeaux
Inscrit le: 14 Aoû 2003 Messages: 4653 Localisation: à l'ouest
Posté le: Sam Aoû 31, 2013 8:57 am Sujet du message:
J'ai vu récemment "Cloud Atlas" et je n'ai pas bien vu le rapport entre les personnages, sauf en effet cette histoire de tache... pour moi il y a une ou deux histoires qui accrochent et le reste est de trop. _________________ Fantasy can become reality (Stratovarius).
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