Tybalt
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Posté le: Dim Aoû 11, 2019 1:02 pm Sujet du message: Regarde les lumières mon amour - Annie Ernaux |
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Quatrième de couverture de l'éditeur
«Souvent, j'ai été accablée par un sentiment d'impuissance et d'injustice en sortant de l'hypermarché. Pour autant, je n'ai jamais cessé de ressentir l'attractivité de ce lieu et de la vie collective, subtile, spécifique, qui s'y déroule». Annie Ernaux.
Mon avis
Pendant un an, en 2012-2013, Annie Ernaux a consigné dans un journal ses observations chaque fois qu'elle rentrait de faire ses courses dans son hypermarché habituel, l'Auchan du centre commercial Les Trois-Fontaines, à Cergy. De ce fait, elle attire l'attention sur un type de lieu que tout le monde fréquente mais dont personne ou presque, jusqu'à présent, n'avait tenté de parler : l'hypermarché, avec sa profusion de produits, ses foules de clients, ses vigiles, ses vendeurs, ses caissières, son parking, ses horaires, sa conception particulière du temps et de l'espace, etc.
Le livre est court (moins d'une centaine de pages), clair, très simple dans les mots utilisés, mais d'une grande originalité et d'une grande finesse d'observation dans le regard qu'il porte sur l'hypermarché et sur sa clientèle. J'y ai retrouvé toutes sortes d'impressions diffuses et de sentiments à la limite du conscient que tout le monde, j'imagine, a pu éprouver, mais que je n'avais jamais vu écrites : plaisir devant les illuminations, gêne devant l'agressivité des panneaux publicitaires, ennui aux caisses, vague culpabilité chaque fois que je me sens observé pendant que je dispose mes produits sur le tapis roulant de la caisse... Or, dès qu'on peut parler d'un sujet, on peut en conserver la mémoire, on peut y réfléchir, on peut au besoin changer les choses. Ce que fait là Annie Ernaux est un travail d'écrivaine par excellence : mettre en lumière des aspects du monde et de la vie jusqu'à présent passés sous silence, oubliés ou négligés.
Sans prétention, sans remplissage, avec un sens de l'observation judicieux, elle met par écrit la sociabilité qui se met en place, les jeux de regards, les échanges avec les clients ou les vendeurs révélant des aperçus d'un quotidien parfois pénible, la façon dont le magasin reproduit les inégalités sociales voire la xénophobie et le sexisme, les biais liés aux petites habitudes auxquelles l'hypermarché nous incite. Elle évoque aussi bien l'émerveillement enfantin que l'endroit peut susciter que ses aspects les plus contestables. Elle remarque la façon dont le centre commercial s'impose dans la vie urbaine.
C'est un petit livre génial, qui n'a pas à rougir devant les grands écrivains de la réalité quotidienne du XXe siècle comme Georges Perec. _________________ Si ça vous intéresse : mon blog de lectures (dont des messages postés sur le Coin et étoffés pour l'occasion) et un site sur mes publications |
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