Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6315 Localisation: Sud
Posté le: Lun Oct 21, 2019 11:04 am Sujet du message: Je suis fille de rage - Jean-Laurent Del Socorro
Ce roman est d'une simplicité rare à résumer : il traite de la Guerre de Sécession qui a eu lieu aux Etats-Unis d'avril 1861 à avril 1865. Il est divisé en cinq parties, qui couvrent chacune l'une des années civiles de la guerre. Le point de vue alterne entre les deux belligérants et les deux fronts, celui de l'est où se situent les capitales (Washington pour le Nord, Richmond pour le Sud) et celui de l'ouest, avec notamment les rives du Mississippi.
[...] La part fantastique du récit est assurée par la présence de la Mort, en uniforme de général, mais blanc - par opposition au bleu et au gris des militaires américains - visible surtout par Abraham Lincoln, avec lequel elle dialogue durant toute la guerre.
Quand j'avais parlé de ce roman avec son auteur, au cours de notre entretien aux Imaginales en 2018, je n'avais pas véritablement cherché à me faire une idée de ce à quoi le résultat pourrait ressembler. Ce qui est sûr, c'est qu'il est différent de ce à quoi je m'attendais. Il est à mon avis meilleur. Je m'attendais à une fresque énorme, de type Nord et Sud de John Jakes, par exemple. Très intelligemment, Del Socorro suppose le contexte et les enjeux connus de ses lecteurs et se concentre sur les opérations militaires, sur terre et sur mer. De ce fait, on se retrouve avec une sorte d'écorché qui met parfaitement en relief les points importants : l'incompatibilité fondamentale des deux camps, dont au moins l'un est persuadé d'accomplir la volonté de Dieu ; la façon dont une guerre commence la fleur au fusil pour spiraler ensuite vers des atrocités, ce que l'on verra se reproduire dans les guerres suivantes ; la civilisation industrielle appliquée à la guerre, avec notamment l'usage des cuirassés, et des tout premiers sous-marins ; l'interrogation sur la possibilité d'un futur commun après les six cent mille morts de cette guerre aussi sauvage que fratricide.
Comprenez-moi bien : quand je dis "écorché", je ne veux absolument pas dire que c'est sec ! Au contraire[...]. Et quels personnages ! Il faudrait tous les citer, [...] On rencontre même, au début de la guerre, Scarlett et Rhett, "Les Amoureux qui auraient mieux fait de rester chez eux", et qui au lieu de cela vont assister en touristes à la bataille de Manassas. Les seuls à avoir un prénom sont ces anonymes habituels de toute guerre : un.e soldat.e de chaque armée. Et je suis convaincue que ce n'est pas un hasard.
Cet exemple est représentatif de ce qu'a fait l'auteur pour illustrer l'Histoire : il a pris des faits qui ont eu lieu (il y a vraiment eu des civils pour se rendre sur le site d'une bataille comme sur le bord d'un terrain de polo !), et des personnages qui ont réellement existé (des jeunes gens partis se battre dans "l'autre" camp ont été reniés par leur famille, des affranchis se sont battus dans les rangs nordistes, etc) et il en fait des personnages romanesques. [...]
Une fois de plus, l'auteur nous dépeint l'échec d'une rébellion. Mais, contrairement à celles à propos desquelles il avait écrit précédemment, celle-ci a des conséquences directes sur nous : nous vivons actuellement dans un monde où la Guerre Civile américaine, ses causes, son déroulé et ses suites, a modelé l'un des pays majeurs de notre planète. [...]. Les personnages historiques que l'on avait l'impression de connaître plutôt bien, et Lincoln en est l'exemple le plus flagrant, acquièrent une ambiguïté, et de ce fait une épaisseur qui bien sûr porte à s'interroger, mais qui aussi explique bien des choses du présent.
[...] magnifique roman, une réussite complète qui manifeste de façon éclatante le talent de son auteur.
Cette chronique peut être lue dans son entièreté sur le site des Chroniques de l'Imaginaire, ici http://climaginaire.com/#/DetailChro/51411 _________________ Même le soleil se couche.
Inscrit le: 27 Juin 2011 Messages: 3318 Localisation: Great North
Posté le: Lun Oct 21, 2019 4:03 pm Sujet du message:
Entièrement d'accord sauf sur un point, le côté fantastique, il me semble que la mort peut facilement être interprétée comme la mauvaise conscience de Lincoln qui lui rappelle constamment ses responsabilités dans les massacres, j'avais sans cesse en tête Georges Clémenceau responsable en 1917 de la poursuite du conflit et des millions de morts qui se sont ensuivis, mêmes causes, mêmes effets.
Première guerre industrielle, premières violences de masse, quatre ans de guerre civile qui ont préfiguré les guerres du vingtième siècle avec 50 ans d'avance. _________________ "Tout est dans tout et réciproquement ."
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6315 Localisation: Sud
Posté le: Lun Oct 21, 2019 7:59 pm Sujet du message:
Moui. Je serais d'accord avec toi si Lincoln était le seul à la voir mais ce n'est pas le cas. Et William T. Sherman (pour qui ta remarque s'appliquerait aussi) n'est même pas le seul autre. _________________ Même le soleil se couche.
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