La jeune femme triste - Gilles Perrault

[clarabelle]

C'est la fin !C'est le dernier volet de la série de "La maison" : "La jeune femme triste" ferme définitivement les portes de la grande maison bourgeoise où Florence avait trouvé refuge avec ses deux enfants en 1940 et où Henri, résistant communiste, avait planqué une traîtresse qui avait dénoncé le réseau. Là, nous sommes en 1964, aux côtés de Sylvie, la fille de Florence du "Garçon aux yeux gris". Sylvie a désormais trente ans, sa vie est en pleine débâcle, son compagnon la trompe avec une autre, et elle revient sur ses lieux qui ont marqué son enfance. Mais elle débarque au mauvais moment : un homme vient de mourir, Lucien, ancien membre des services secrets. Son fils Gérard va accueillir la jeune femme et l'héberger à nouveau. Un troisième élément va débouler, qui vient enquêter sur le défunt et les éventuelles traces qu'il aurait laissées derrière lui. Il devra rendre des comptes au fils et questionnera à son tour Sylvie sur son passage dans cette maison en 40.
Dans ce dernier épisode, on fait le point : que sont devenus Florence, les enfants, on évoque le passage éclair de Henri... C'est un peu triste et mélancolique. De plus, c'est très court (seulement 110 pages !) et ça résonne comme un manque affreux. Comme une envie de ne pas boucler les portes de cette grande maison bourgeoise, aux pièces carrées et aux secrets enfouis. On trépigne de ne pas en savoir plus, d'en découvrir davantage et d'y squatter pour de bon. Sylvie est la jeune femme triste, un peu le souvenir de sa mère Florence. La blessure est donc profondément ancrée : chez les personnages comme chez le lecteur. Moi, j'ai très attendu cette suite et je me sens un peu flouée. En manque, déjà. Pas comblée. Enragée, presque !Fayard, 113 pages.Pour connaître les deux premiers volets :http://coindeslecteurs.com/viewtopic.php?t=1533&highlight=perrault
Clarabelle

[clarabelle]

La Jeune Femme triste
de Gilles PerraultPAR KIM POURNIN
[30 septembre 2004] Le Figaro
Le dernier roman de M. Perrault est vite arrivé. Tant mieux, il est excellent. La Jeune Femme triste referme ainsi, sur lui, le cycle de La Maison, la maison qui sert de décor aux trois épisodes, et c'est un triptyque d'une parfaite unité. Un triptyque qui vaut les romans historiques les plus épais. Il s'ouvre sur l'exode, en 1940. Une bourgeoise, avec sa petite, Sylvie, et son plus grand, Philippe, se réfugient dans une bâtisse à l'écart. La femme évite de justesse le viol, grâce à Jean, Le Garçon aux yeux gris (2001). Puis L'Homme au bout du rouleau, sa suite, retrouve la «grande baraque». Deux résistants, Henri et Renée, s'y cachent, et l'homme hésite, contre la femme, à éliminer leur otage, la jeune Astrid, qui a trahi leur réseau, et qui fut sa maîtresse.
Vingt ans plus tard, Sylvie, La Jeune Femme triste, devenue grande, reste pourtant une enfant. Rien ne la guérit de l'emprisonnement de son grand frère à l'île de Ré, pour avoir participé au putsch d'Alger, en 1961. Et, sans le savoir, elle fait, dans ce dernier épisode, un pèlerinage. Elle retourne à la «maison», pour son travail. Mais elle y cherche plutôt le souvenir de l'épisode heureux, vécu avec son «Philou» et sa mère, protégés de l'exode. Qu'y trouve-t-elle d'abord ? Un mort, le père de Gérard. Son fils, qui habite ici, la laisse entrer, mystérieusement, sans rien dire. Ironie : à chercher le bonheur passé, on ne trouve qu'un cadavre. Or, le cadavre, ici, a eu une histoire : sa carrière d'agent secret a été brisée, et il faut qu'un de ses anciens camarades croise le chemin de Sylvie et de Gérard pour résoudre l'énigme...
Nous avons lu mille fois ces histoires. Il fallait, pour les sauver du banal, tout le talent de Perrault, celui du Pull-Over rouge. Il fallait aussi ses méthodes de «journaliste mâtiné de flic, avec un peu d'historien», de ses trois tomes d'histoire, Le Secret du roi.
Ses personnages n'ont plus que leur passé pour remplir le présent. Ils en sont écrasés et rendus incapables de le dépasser. Des images, ses erreurs, sa violence, les percent à tout instant. Ils ont beau bouger, les uns et les autres demeurent figés, comme la prose qui les fixe, qui est nerveuse et déponctuée. Aussi ne sont-ils jamais aimables, ni détestables. Ils sont troublants, comme les mannequins des tableaux de Chirico.
«Le ciel désoeuvré qui [les] aveugle, tire [d'eux] un chant immortel» (Cocteau). D'où sa beauté, triste comme la jeune femme de l'histoire.