L'aveuglement - José Saramago

[Cuné]

C'est un roman très surprenant qui va au coeur même de la noirceur. Le but ultime est de survivre, tous les bas instincts sont réactivés, et le noyau même de l'imagination humaine est titillé. On se retrouve tous un peu dans ces histoires labyrinthiques, où dans des conditions extrêmes on cherche à s'en sortir au mieux. Mais même en dehors de l'histoire, à forts éléments de science-fiction, le style de José Saramago ajoute à cette sensation oppressive. Pas d'aération, encore et encore et encore des phrases à la suite les unes des autres avec action et réflexion intimement mêlées : personnellement ça m'a plongée fortement dans ce livre, j'ai été même comme happée dans un univers tourbillonnant. Je suis ravie d'avoir pu éprouver ça avec un prix Nobel de littérature, et étonnée de lire qu'il n'est venu à l'écriture qu'à 58 ans...
Non, vraiment, pas banal du tout !!

[martlet]

"Un homme, assis au volant de sa voiture, attend devant un feu rouge. Il devient soudain aveugle. C'est le début d'une épidémie qui se propage à une vitesse fulgurante à travers tout le pays. En quarantaine dans un hôpital ou livrés à eux-mêmes dans la ville, privés de tout repère, les hordes d'aveugles devront faire face à ce qui, en l'homme, est le plus primitif : la volonté de survivre à n'importe quel prix. Guidés par une femme, le seul être qui n'a pas été frappé par la " blancheur lumineuse ", les personnages de ce magnifique et insolite roman connaîtront mille aventures. L'amour, la haine, la cruauté, l'indifférence, la peur, autant de passions qui nous aveuglent et à partir desquelles José Saramago bâtit une inquiétante allégorie des temps que nous vivons."

L'Aveuglement est un roman du genre fantastique publié en 1995 par José Saramago, un auteur portugais, prix nobel de littérature 1989.

Ce qui frappe tout de suite, c'est le style d'écriture très particulier de l'auteur, constitué de très longues phrases ponctuées par de nombreuses virgules. Je sais que ce style est caractéristique de Saramago, mais n'ayant lu aucun autre livre de cet auteur, je me contenterai de dire qu'il est bien adapté au récit proposé dans L'Aveuglement. Ce style déconcertant aide en effet à s'identifier aux personnages évoqués (la quasi totalité de ceux-ci étant aveugles) puisqu'on tâtonne avec eux pour essayer de comprendre où l'auteur veut nous emmener, et comment cette histoire va bien pouvoir se terminer.

Une autre particularité de Saramago concerne les dialogues, qui sont directement insérés dans la narration, donnant au texte un aspect très dense, et participant également à l'immersion : aucun signe ne signalant le début ou la fin d'un dialogue, encore moins un changement de point de vue, il est souvent difficile de savoir qui s'exprime. On se retrouve dans le même position que les personnages principaux, à se chercher, à mobiliser tous ses sens pour compenser une perception défaillante.

On remarque également que tout au long du récit, aucun nom de personne n'est utilisé, pour nous laisser nous raccrocher à des détails visuels, des professions, caractères, signes distinctifs afin de nous repérer au milieu de la masse d'individualités qui constituent cette humanité aveuglée et perdue en plein milieu d'elle-même.

Le personnage masculin principal est en fait un ophtalmologiste, un élément assez ironique dans la mesure où il est l'une des premières personnes à devenir aveugle, et donc incapable d'exercer sa profession ou d'être utile à la communauté. Sa femme est certainement ce qui se rapproche le plus d'une héroïne dans cette histoire : elle est la seule personne contaminée (connue du lecteur) ayant conservé l'usage de la vue. Alors que les voyants sont nécessairement décrits pendant une large partie du récit comme les Ennemis, par opposition aux aveugles dont nous suivons la progression douloureuse voire pathétique, cette femme (anonyme, comme les autres) à des allures de figure presque messianique, organisant la (sur)vie de la communauté, désamorçant les tensions par ses facultés presque surnaturelles comparée à ses pairs.

Ce livre de Saramago traite avant tout de la nature humaine, de tout ce que des personnes, en tant qu'individus ou en tant que groupe, sont prêtes à faire pour survivre, protéger les leurs, ou au contraire satisfaire leurs désirs et leurs instincts les plus viles. A ce titre, l'auteur ne nous épargne que peu de choses, et ses fréquentes touches d'ironie (adressées en aparté au lecteur) sont bienvenues pour détendre un peu l'atmosphère. Je ne dirais pas que c'est une oeuvre aussi importante que 1984, mais c'est clairement un livre qui mérite la lecture.
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